lundi 16 janvier 2012

S-A Peyre : MARSYAS n° 375 d’avril 1961 (suite & fin) - Ive Gourgaud




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Dernier étapde de la présentation de MARSYAS n° 375 d’avril 1961, par Ive Gourgaud, il nous propose la suite & la fin des critiques Mistraliennes de ce numéro ... exceptionnel de modernité



IV
ÉCOLE DU SOIR


Les intentions des Félibres qui veulent introduire l'enseignement du provençal dans les écoles des trois degrés, sont certainement excellentes ; mais c'est une fièvre que nous avons déjà connue il y a quelque cinquante ans. Et puisque nous remontons ainsi dans nos souvenirs, puis‑je ajouter qu'il y a un demi-siècle il était fort question de l'école du soir pour les adultes qui avaient été empêchés, pour des raisons diverses, d'atteindre même le niveau du certificat d'études ?
Eh bien, ne faudrait‑il pas maintenant instituer l'école du soir pour les Félibres qui sont incapables, malgré le zèle avec lequel ils militent, de prononcer et d'écrire correctement (et je ne pense pas seulement à l'orthographe) la langue provençale qu'ils opposent, à grande clameur, à la langue française ?
Je n’ai jamais reçu de circulaires d'organismes félibréens sans y trouver, à chaque phrase, voire à chaque ligne, quantité de gallicismes, de barbarismes et de fautes d'orthographe.
Je n'ai jamais assisté à des réunions de Félibres sans constater qu’au bout de quelques minutes tout le monde parlait français ! Dans leur correspondance même les Félibres sont assez enclins à employer la langue française. C’est qu’en fait, ils sont tous restés plus ou moins à la notion d'une langue provençale exclusivement propre à la poésie et au récit populaire, et incapable de servir à la culture générale.

Voilà bien une notion encore plus stupide que sacrilège.

Il suffit pourtant de lire la nomenclature des oeuvres provençales, notamment celles qui ont honoré, depuis 1946, le Prix Mistral, pour se rendre compte que la langue provençale se prête à toute expression de la pensée aussi bien que de l'imagination et que, par le fait même qu'elle est encore à l'état naissant, elle dispose, pour l'expression abstraite, de toute la sève des vocables concrets qui ne sont pas encore desséchés par un long usage.
Il faut donc instituer, et il y a urgence, l’Ecole du Soir pour les Félibres retardés.




V
L’OREILLE DÉCHIRÉE

Or, en même temps qu'ils rendent hommage de vassalité à la langue française, ils ne manquent jamais une occasion de s’élever contre sa primauté, sa présence légale et scolaire, et la déchirent à vilaines dents, d'où des représailles dont ils se trouvent fort marris. « Chien hargneux a souvent l'oreille déchirée. » Mais lequel chien a commencé? Lorsque Lamartine révéla Mirèio, il y eut bien quelques notes dissonantes autour de son dithyrambe. Mais elles ne résonnèrent pas toutes de Paris...

L’âne Martin, ‑ je veux dire Pontmartin, ‑ qui s'écria goujatement : «Quel dommage que cela soit écrit dans la langue de nos domestiques», n'était-il pas du Comtat Venaissin?

Les bigots d’Avignon ne protestèrent‑ils pas contre « l'immoralité » de Mirèio ?
De toute façon, on peut rappeler ici la boutade d'Alphonse Karr : «Tout ce que les médecins ont pu faire contre le rhume de cerveau, c'est de l'appeler coryza !»
Certes, il n'y a aucune comparaison entre la création d'une langue, comme Mistral le fit avec Mirèio, et l'invention du vocable coryza ; mais on pourrait dire, à la petite échelle, que tout ce que les Provençaux ont pu faire contre les Français, c'est de les appeler franchimand. Si cela n'allait pas plus loin que des nasardes, des mordillements d’oreilles accoutumés, de village à village, de ville à ville, de province à province, de nation à nation, on pourrait hausser les épaules. Mais n'est‑il pas dommage de voir Mistral, dans un passage ridicule des Memòri, se moquer du récit de Théramène, (tout gâté qu'il soit par la description du monstre, ce récit est une belle chose de Racine) ânonné par deux enfants de la bourgeoisie et y préférer la sornette de Jean‑du‑Porc que sa mère lui avait apprise ?
Nous savons que Mistral, poète de génie, manquait absolument de goût ; mais la présence du génie compense heureusement l'absence de goût. Ce qui est plus grave, c'est lorsque dans un des articulets qu'il écrivait pour l’Armana prouvençau ou les publications périodiques du Félibrige, il fait un sort au proverbe :
Parlo que francés, dèu èstre esta en galèro.
(Il ne parle que français, il doit avoir été aux galères).
La voilà bien, la hargne canine.
Heureusement que le génie nous réserve toujours de miraculeuses compensations ; et le même Mistral, dans la Rèino Jano, fait chanter aux galériens l'incomparable cantilène de l’Illusion, qu’il a inventée pour eux.
Il serait temps que la culture française et la culture provençale, dans la Région des Egales, cessent de se déchirer l'oreille, et commencent à s'écouter l'une l'autre.



VI
RUPTURE AVEC CE QUI AMOINDRIT

(C'est un titre emprunté à Hugo, Hugo que l’on trouve partout où l'on arrive).
Clémenceau disait que la guerre était une chose trop sérieuse pour être confiée à des militaires, et certains événements lui ont donné raison.
Faut‑il dire que la Renaissance provençale est une chose trop belle pour la laisser détériorer par le Félibrige qui, après l'avoir tenue dans ses premiers pas, l'entrave et la fait trébucher maintenant, en attendant peut‑être une lâche occasion de la livrer à l'occitanisme ?
Je me borne à poser la question, mais je l'ai déjà résolue pour moi.


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