dimanche 8 janvier 2012

S-A Peyre : MARSYAS n° 375 d’avril 1961 - Ive Gourgaud



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Hommage à Sully-André PEYRE

(suite)


(mise en forme et commentaires :
Yves Gourgaud)




Nous poursuivons notre hommage au poète et critique mistralien en redonnant la totalité de ses contributions provençales à sa revue MARSYAS n° 375 d’avril 1961. Nous y trouverons le tout dernier poème que S-A Peyre a publié sous le nom d’ESCRIVETO : ce personnage féminin (il vaudrait mieux dire : hétéronyme, autre face de la personnalité multiple du poète trilingue), il l’inventa dans les vignes de son père, en 1909, alors qu’il n’avait que 19 ans… et le fit vivre jusqu’à sa mort.
L’amour (souvent charnel), la solitude, le jardin, la mort, la rose, la féminité : autant de thèmes qui reviennent dans une œuvre que l’on doit détacher de celle que SAP signait de son propre nom. Quelques-uns de ces poèmes furent d’ailleurs réunis après la mort du poète et publiés en recueil sous le titre : Escrivette et la rose, avec en bandeau cette incitation : « Ne cherchez point à tout comprendre… ».

Voici donc le tout dernier poème d’Escriveto
:

ES UN VIÈI POUS ...

Es un vièi pous, soulet dins lou campèstre vaste,
Sèns figuiero ; e, de pòu que lou rouvi li gaste,
Ges de carello, de cadeno, de ferrat ;
Se i’avié d'aigo, res poudrié l'avera.

La bauco es dessecado e mounte pas enjusco
L'orle rout ; ges de moufo à la paret s’enrusco ;
Au founs, sènso rebat de luno e de soulèu,
Un bestiàri casu pourris, e fai sóulèu.

Siéu vengudo despièi moun orto dis Aupiho,
‘Mé si roso, sis aigo oumbrouso e sis abiho,
E me siéu assetado, à l'agrat de fali,
Sus l'orlo, pèd descaus pèr li code abali.

Sounjave de Jacob, de Rachèu e de Lìo,
De Bremoundo, de iéu, e belèu d'Oufelìo,‑
En flour sus l’aigo longo e sout li sause vièi,
‘Mé lis aragno bluio e li rano e li pèis.

ESCRIVETO


Traduction : C’EST UN VIEUX PUITS...

C'est un vieux puits, seul dans la lande vaste, sans figuier ; et, de peur que la rouille les gâte, point de poulie et point de chaîne et point de seau ; nul ne pourrait puiser une eau toujours absente.

L’herbe rêche est séchée et ne peut pas atteindre la margelle brisée; point de mousse aux parois ; au fond, sans nul reflet de lune et de soleil, une bête tombée pourrit, levant le coeur.

Je suis venue depuis mon jardin des Alpilles avec ses roses, ses eaux ombreuses, ses abeilles, et je me suis assise, au risque de tomber, sur le bord, mes pieds nus à l'école des pierres.

Je songeais à Jacob, à Rachel, à Lia, à Brémonde, à moi‑même, et peut‑être Ophélie en fleur sur une eau longue et sous d'antiques saules, chez les insectes bleus, Ies poissons, les rainettes.






Ce poème d’Escriveto est suivi de deux poèmes signés, eux, « Suli-Andriéu Peyre » :

TOUN NOUM…

Toun noum creissira 'mé la rusco
De l’aubre, mountant plan enjusco
Que siegue plus aut que lis iue ;
E meme en aubourant la tèsto
Quau poudrié legi lou rèsto
D'aquel amour e d'aquéu jue ?

La sabo, qu'es toujour maduro,
Aura gounfla la gravaduro,
E lou soulèu e li plueiun
N'auran acaba la malandro,
Mentre que l'aubre se balandro
Emé si branco e soun fueiun.

Toun noum sara plus qu'uno deco
Sus la rusco leno, uno leco
Pèr la memòri e li pensié
D'un que vanegara pèr orto
Long‑tèms après que saras morto,
Après lou bonur e l’ancié.

Traduction : TON NOM

Ton nom croîtra avec l'écorce du peuplier, montant lentement, jusqu'à ce qu'il soit plus haut que le regard ; et même en relevant la tête, qui donc pourrait lire le reste de cet amour et de ce jeu ?

La sève, toujours mûre, aura gonflé l’écorce entaillée, et le soleil et les averses auront aggravé le mal tandis que l'arbre se balance avec ses branches et ses feuilles.

Ton nom ne sera plus qu'un défaut sur l'écorce lisse, un piège pour la mémoire et les pensées d'un qui errera par les champs longtemps après ta mort, après le bonheur et l'angoisse.


*+*+*+*


AQUELO CANSOUN ...

Aquelo cansoun, te sèmblo que vèn
De forço mai liuen que l’aigo e lou vènt.

Te sèmblo que vèn dóu founs dis espàci,
Dóu coumençamen di long tressimàci.

Mai vèn que de tu, d'aquéli founsour
Ounte, amoulouna, caupon li vièi jour,

E mounte deman e l’amaro glòri
se coungreion vuei pèr d’àutri memòri.


Traduction : CETTE CHANSON ...

Cette chanson paraît venir de beaucoup plus loin que l’eau et le vent.
Elle paraît venir du fond des espaces, du commencement des vicissitudes.
Mais elle vient de toi, des profondeurs où sont amoncelés les anciens jours, et où demain et la gloire amère se suscitent aujourd'hui pour d'autres mémoires.


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