LANGUE CÉVENOLE ET FAMILLE D’OC
Toute langue est faite d’UNITÉ et de DIVERSITÉ : nous allons nous efforcer de marquer ici ce qui rassemble les pays de langue cévenole, mais aussi ce qui les distingue. L’unité est concrétisée par l’emploi du mot « langue » pour désigner l’ensemble des parlers des Cévennes ; la diversité est concrétisée par l’emploi du mot « dialecte » pour désigner un ensemble de parlers cévenols qui présentent des caractéristiques qu’on ne retrouve pas dans les parlers voisins.
On sait que les notions de « langue » et de « dialecte » ne sont pas tranchées au couteau, et c’est ainsi que certains (leur opinion étant tout aussi respectable que la nôtre) ne voient guère de différences entre les parlers cévenols et d’autres parlers dits « languedociens » : pour eux, le cévenol n’existe donc pas en tant que langue, car ce qu’ils considèrent comme « langue », c’est « l’occitan » (nom donné par les occitanistes) ou « la langue d’oc » (nom donné par le Félibrige). Dans cet ensemble, tous reconnaissent un sous-ensemble (donc un « dialecte ») qu’ils appellent « languedocien », et le cévenol, inclus dans ce sous-ensemble, n’est donc qu’un « sous-dialecte », voire un « sous-sous-dialecte » car il est d’usage de distinguer, dans le « dialecte languedocien », un « sous-dialecte oriental » qui regroupe deux « sous-sous-dialectes », le montpelliérain et le cévenol.
Nous sommes en désaccord avec ce classement pour plusieurs raisons, la première étant très objective : si l’on prend la définition du « dialecte languedocien » tel qu’il est présenté par les plus ardents défenseurs de l’unité linguistique d’oc, on s’apercevra qu’aucune des caractéristiques linguistiques de leur « languedocien » ne s’applique entièrement et indiscutablement au cévenol, du moins pour sa partie centrale alésienne. On peut donc déjà facilement démontrer que le cévenol alésien n’est pas du « languedocien, cette démonstration étant soutenue par un sentiment populaire d’appartenance à une identité cévenole et non à une identité « languedocienne ». Comme il se trouve que le sentiment identitaire « d’oc » ou « occitan » n’existe pas davantage (en dehors des petits groupes occitanistes, qui militent justement pour tenter de faire entrer ce sentiment d’occitanité dans les esprits), nous jugeons pour notre part que notre analyse du fait cévenol (une langue cévenole avec plusieurs dialectes) correspond davantage à la réalité culturelle et psychologique de notre pays et de notre peuple. Comme nous l’affirmions dans la précédente partie de notre Grammaire, nous tenons à rester pragmatique et à respecter le sentiment identitaire des Cévenols parce qu’il est très fortement ancré dans leur culture et leur histoire.
On se s’attendra donc pas à trouver ici des limites linguistiques tirées au cordeau, pas plus dans la description de l’ensemble de la langue que dans celle de ses divers dialectes. Quant à ceux qui, au Félibrige ou ailleurs, seraient tentés de voir dans ce refus de limitation exacte un aveu de faiblesse ou de mauvaise foi, on ne peut que les renvoyer aux limites de leur propre « langue d’oc », qui sont bien fluctuantes. Sans parler de l’auvergnat et du limousin, que le jeune Mistral ignore superbement dans ses définitions de la « langue d’oc » des années 1850 ; sans parler non plus du francoprovençal qui est encore dans les années 1880 considéré par le TDF comme authentique « dialecte d’oc » (avec des citations littéraires d’auteurs francoprovençaux) ; sans parler du catalan qui est d’abord considéré comme « dialecte d’oc » puis mis de côté après le refus des Catalans de participer aux aventures du Félibrige, on pourrait s’interroger sur les limites précises de cette « langue d’oc » dans le fameux « Croissant », zone assez étendue dans laquelle personne n’a jamais pu décider du caractère « français » ou « provençal/d’oc/occitan » des parlers, tellement ces caractères sont mixtes.
En matière de linguistique, avant d’asséner des vérités qu’on voudrait indiscutables, il est préférable de balayer devant sa porte : la « langue provençale » ou la « langue cévenole » ne sont sans doute pas délimitées au mètre carré près, mais la « langue d’oc » ne l’est pas davantage, tant s’en faut !
Quant à Mistral, nous devons réaffirmer très tranquillement qu’il n’était pas un linguiste de formation, sans pour cela prétendre qu’il n’était qu’un « savant de village », jugement que la direction du Félibrige nous a récemment attribué par pure ignorance de nos positions, qui sont à l’évidence bien plus nuancées : Mistral a construit une « langue d’oc » à géométrie variable, qui a constamment évolué en fonction de ses connaissances, de ses constatations… et de ses échecs ! (cf plus haut). Si on peut affirmer qu’il a toujours défendu « l’unité de la langue d’oc », on doit, par honnêteté intellectuelle et par respect des textes historiques, reconnaître que sa propre définition de ladite « langue d’oc » a été très fluctuante et contradictoire, et qu’on ne peut donc pas s’appuyer sur ses divers écrits pour donner à cette « langue d’oc » des limites définitives ni même approximatives.
Le génie de Mistral (dont nous nous réclamons hautement) réside dans ses choix littéraires (relever la dignité de la langue) et graphiques (faire apparaître A LA FOIS l’unité et la variété des parlers de la famille d’oc). Quant à la querelle sur LA ou LES langue(s) d’oc, elle ne mérite pas de diviser les tenants de l’expression populaire véritable : il suffirait que les uns et les autres parlent de FAMILLE D’OC pour que le problème soit réglé. C’est d’ailleurs un tenant de l’unité de la langue d’oc (Alan Broc, « lou Felibre d’Auvernho ») qui avance sur le sujet les réflexions les plus constructives : pour lui il n’existe qu’une seule langue populaire, mais plusieurs langues littéraires (dont le provençal, l’auvergnat… et le cévenol).
C’est en effet l’expression écrite qui révèle le plus clairement les différences, et c’est bien elle qui nous a donné l’idée d’établir une description de la langue à partir de faits observables dans la graphie, dès lors que celle-ci n’est pas occitane, c’est-à-dire qu’elle ne cherche pas à masquer les caractéristiques de la langue parlée. Par chance, la graphie occitane n’est apparue que fort tard en Cévennes (rien avant les années 1960), et nous disposons donc d’un corpus abondant pour étudier ce que nous appelons « marqueurs d’identité linguistique » ou MIL. A la différence des typologies linguistiques traditionnelles, la description par MIL reste rigoureusement synchronique (aucune allusion à un état antérieur de la langue, pas plus «Latin» que «Langue des troubadours ») et s’appuie bien davantage sur des faits de morphologie que sur des traits de pure phonétique. Bien sûr, on devra tenir compte des habitudes graphiques, souvent héritées du français : par exemple, la prononciation ou non des –S comme marques du pluriel ne peut être prise comme MIL parce que la plupart des auteurs écrivent ces –S même s’ils ne les prononcent pas.
On sait que les notions de « langue » et de « dialecte » ne sont pas tranchées au couteau, et c’est ainsi que certains (leur opinion étant tout aussi respectable que la nôtre) ne voient guère de différences entre les parlers cévenols et d’autres parlers dits « languedociens » : pour eux, le cévenol n’existe donc pas en tant que langue, car ce qu’ils considèrent comme « langue », c’est « l’occitan » (nom donné par les occitanistes) ou « la langue d’oc » (nom donné par le Félibrige). Dans cet ensemble, tous reconnaissent un sous-ensemble (donc un « dialecte ») qu’ils appellent « languedocien », et le cévenol, inclus dans ce sous-ensemble, n’est donc qu’un « sous-dialecte », voire un « sous-sous-dialecte » car il est d’usage de distinguer, dans le « dialecte languedocien », un « sous-dialecte oriental » qui regroupe deux « sous-sous-dialectes », le montpelliérain et le cévenol.
Nous sommes en désaccord avec ce classement pour plusieurs raisons, la première étant très objective : si l’on prend la définition du « dialecte languedocien » tel qu’il est présenté par les plus ardents défenseurs de l’unité linguistique d’oc, on s’apercevra qu’aucune des caractéristiques linguistiques de leur « languedocien » ne s’applique entièrement et indiscutablement au cévenol, du moins pour sa partie centrale alésienne. On peut donc déjà facilement démontrer que le cévenol alésien n’est pas du « languedocien, cette démonstration étant soutenue par un sentiment populaire d’appartenance à une identité cévenole et non à une identité « languedocienne ». Comme il se trouve que le sentiment identitaire « d’oc » ou « occitan » n’existe pas davantage (en dehors des petits groupes occitanistes, qui militent justement pour tenter de faire entrer ce sentiment d’occitanité dans les esprits), nous jugeons pour notre part que notre analyse du fait cévenol (une langue cévenole avec plusieurs dialectes) correspond davantage à la réalité culturelle et psychologique de notre pays et de notre peuple. Comme nous l’affirmions dans la précédente partie de notre Grammaire, nous tenons à rester pragmatique et à respecter le sentiment identitaire des Cévenols parce qu’il est très fortement ancré dans leur culture et leur histoire.
On se s’attendra donc pas à trouver ici des limites linguistiques tirées au cordeau, pas plus dans la description de l’ensemble de la langue que dans celle de ses divers dialectes. Quant à ceux qui, au Félibrige ou ailleurs, seraient tentés de voir dans ce refus de limitation exacte un aveu de faiblesse ou de mauvaise foi, on ne peut que les renvoyer aux limites de leur propre « langue d’oc », qui sont bien fluctuantes. Sans parler de l’auvergnat et du limousin, que le jeune Mistral ignore superbement dans ses définitions de la « langue d’oc » des années 1850 ; sans parler non plus du francoprovençal qui est encore dans les années 1880 considéré par le TDF comme authentique « dialecte d’oc » (avec des citations littéraires d’auteurs francoprovençaux) ; sans parler du catalan qui est d’abord considéré comme « dialecte d’oc » puis mis de côté après le refus des Catalans de participer aux aventures du Félibrige, on pourrait s’interroger sur les limites précises de cette « langue d’oc » dans le fameux « Croissant », zone assez étendue dans laquelle personne n’a jamais pu décider du caractère « français » ou « provençal/d’oc/occitan » des parlers, tellement ces caractères sont mixtes.
En matière de linguistique, avant d’asséner des vérités qu’on voudrait indiscutables, il est préférable de balayer devant sa porte : la « langue provençale » ou la « langue cévenole » ne sont sans doute pas délimitées au mètre carré près, mais la « langue d’oc » ne l’est pas davantage, tant s’en faut !
Quant à Mistral, nous devons réaffirmer très tranquillement qu’il n’était pas un linguiste de formation, sans pour cela prétendre qu’il n’était qu’un « savant de village », jugement que la direction du Félibrige nous a récemment attribué par pure ignorance de nos positions, qui sont à l’évidence bien plus nuancées : Mistral a construit une « langue d’oc » à géométrie variable, qui a constamment évolué en fonction de ses connaissances, de ses constatations… et de ses échecs ! (cf plus haut). Si on peut affirmer qu’il a toujours défendu « l’unité de la langue d’oc », on doit, par honnêteté intellectuelle et par respect des textes historiques, reconnaître que sa propre définition de ladite « langue d’oc » a été très fluctuante et contradictoire, et qu’on ne peut donc pas s’appuyer sur ses divers écrits pour donner à cette « langue d’oc » des limites définitives ni même approximatives.
Le génie de Mistral (dont nous nous réclamons hautement) réside dans ses choix littéraires (relever la dignité de la langue) et graphiques (faire apparaître A LA FOIS l’unité et la variété des parlers de la famille d’oc). Quant à la querelle sur LA ou LES langue(s) d’oc, elle ne mérite pas de diviser les tenants de l’expression populaire véritable : il suffirait que les uns et les autres parlent de FAMILLE D’OC pour que le problème soit réglé. C’est d’ailleurs un tenant de l’unité de la langue d’oc (Alan Broc, « lou Felibre d’Auvernho ») qui avance sur le sujet les réflexions les plus constructives : pour lui il n’existe qu’une seule langue populaire, mais plusieurs langues littéraires (dont le provençal, l’auvergnat… et le cévenol).
C’est en effet l’expression écrite qui révèle le plus clairement les différences, et c’est bien elle qui nous a donné l’idée d’établir une description de la langue à partir de faits observables dans la graphie, dès lors que celle-ci n’est pas occitane, c’est-à-dire qu’elle ne cherche pas à masquer les caractéristiques de la langue parlée. Par chance, la graphie occitane n’est apparue que fort tard en Cévennes (rien avant les années 1960), et nous disposons donc d’un corpus abondant pour étudier ce que nous appelons « marqueurs d’identité linguistique » ou MIL. A la différence des typologies linguistiques traditionnelles, la description par MIL reste rigoureusement synchronique (aucune allusion à un état antérieur de la langue, pas plus «Latin» que «Langue des troubadours ») et s’appuie bien davantage sur des faits de morphologie que sur des traits de pure phonétique. Bien sûr, on devra tenir compte des habitudes graphiques, souvent héritées du français : par exemple, la prononciation ou non des –S comme marques du pluriel ne peut être prise comme MIL parce que la plupart des auteurs écrivent ces –S même s’ils ne les prononcent pas.
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Les lignes de ce texte sont extraites de :
Yves GOURGAUD : GRAMMAIRE CÉVENOLE
4e PARTIE (LES DIALECTES) AIGO VIVO n° 77 Couleciu AISINO n° 8
4e PARTIE (LES DIALECTES) AIGO VIVO n° 77 Couleciu AISINO n° 8
Alès-en-Ceveno / Sant-Marti-de-Val-Galgo
Decembre de 2010
ÉDITIONS POPULAIRES AIGO VIVO
Decembre de 2010
ÉDITIONS POPULAIRES AIGO VIVO
chez Yves Gourgaud, 56 avenue du 8 mai - 30520 Saint-Martin-de-Valgalgues
© Yves Gourgaud 2010
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