dimanche 30 mars 2014

Yves Gourgaud : LA VRAIE LANGUE DE MONTPELLIER







LA VRAIE LANGUE DE MONTPELLIER



A Philippe, 
Sétois fidèle et rebelle


Nous avons déjà parlé ici de la langue authentique de Montpellier, qu’on ne doit évidemment pas rechercher dans la littérature occitane, ni non plus dans la littérature félibréenne du cru : les uns et les autres se sont ingéniés, depuis le milieu du XIXe siècle, à masquer sous leur graphie unitariste les particularités de l’articulation du montpelliérain. En ont-ils honte ? Croiraient-ils se déshonorer en écrivant comme on parle, et en parlant comme ont parlé leurs ancêtres ? J’avoue avoir bien du mal à comprendre cette trahison, qui n’a qu’un intérêt : celui de montrer que le Félibrige montpelliérain (auréolé de la renommée de son cadre universitaire) a bel et bien préparé la voie à l’occitanisation de la graphie, de la littérature et de la langue dans cette ville, qui du coup est devenue l’une des moins productives de l’arc méditerranéen. On ne peut récolter que ce qu’on a semé, et le Félibrige ne peut s’en prendre qu’à lui-même.
Heureusement, il nous reste la littérature patoise pour retrouver toute la saveur du parler montpelliérain : l’exemple que nous allons présenter maintenant est tout particulièrement intéressant, car il provient d’un « compositeur et ténor », selon la notice du Dictionnaire de Fourié. Le petit texte qui suit est donc avant tout destiné à être chanté, et l’on comprend que son public se soit fort peu soucié d’une « normalisation » qui déforme et défigure le parler naturel. On va, en conséquence, y retrouver intactes les particularités de la prononciation montpelliéraine, et l’on sera surpris de se rendre compte que ces particularités touchent un très grand nombre de mots, ce qui signifie que la normalisation occitano-félibréenne affecte la langue au point de la rendre quasiment méconnaissable pour une oreille montpelliéraine. Nous proposons, en guise de comparaison, une double écriture du texte : d’abord l’écriture originale du chanteur-compositeur, puis une normalisation graphique de type félibréen. Les particularités du parler de Montpellier qui ont été effacées par cette normalisation sont soulignées par une mise en gras, dans le texte original, des mots affectés. Notre commentaire suivra le texte, que vous êtes maintenant invités à lire :



LA GRISÉTTA DÉ MOUMPÉYÈ

(BLEUÉTTA PATOUESA)
[LA GRISETA DE MOUNT-PELIÈ, blueta patouesa]

I
Grisétta, qué d'amour,
Embrasés moun âma,
Ah! d'euna douça flamma,
L'aleumés tchaqua tchour.
Oh! qu'aymé ta tourneuda
Et toun poulit régar,
Ta figue[u]da tant peuda, (bis)
Toutchour frésqua sans far.
Griseta que d’amour
Embrases moun ama,
Ah ! d’una douça flama
L’alumes chaca jour !
Oh, qu’aime ta tournura
E toun poulit regard,
Ta figura tant pura,
Toujour fresca sans fard !
II
Tchaqua tchour, aôu dîna,
Té séguissé eun paouquet;
Peu bèlla qu'eun bouquet
Laïssa-mé t'admida.
Oh! qu'aymé ta bouquétta,
Ta graça et toun bèou fronn,
Ta gaouta roundèlétta (bis)
Et toun courssatché lonn.
Chaca jour, au dina,
Te seguisse un pauquet ;
Pu bèla qu’un bouquet,
Laissa-me t’admira !
Oh ! qu’aime ta bouqueta,
Ta graça e toun bèu front,
Ta gauta roundeleta
E toun coursage long !

III
Grisétta d'aoù clapas,
Diou ! que siès poulidétta !
Siègués toutchour sachétta,
Et té madidadas.
Anés pa trop dansa,
Rèsta din toun oustaou,
Ebitta dé parla, (bis)
T’én troubadas pa maou.
Griseta dau Clapàs,
Diu, que siès poulideta !
Siègues toujour sajeta
E te maridaràs !
Anes pa trop dansà,
Rèsta din toun oustau ;
Evita de parlà,
T’en troubaràs pa mau !


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DENIS ROBERT
Une première remarque à propos de la graphie Moumpéyè : le « L mouillé » ou « L palatalisé » (L + yod) a, comme en provençal ou en cévenol, le son yod (i bref), et il est donc ridicule d’employer en montpelliérain, comme le font les félibres et les occitanistes, la graphie LH. Cette remarque s’étend à toutes les régions héraultaises de langue cévenole, entre Montpellier et le Vidourle : Louis Abric de Lunel et Antoine Roux de Lunel-Viel ont abusé de cette graphie LH, ainsi que le grand Alexandre Langlade de Lansargues : dans ses Poésies languedociennes, édition de 1989, tome I, on lit page 99 : « gargalha » et « vitalha », qui font rime. Mais heureusement, on lit aussi, tome III page 68, « escoubiha » et « mangiha », qui font aussi rime et qui prouvent l’artificialité de ce LH. Quant aux Fougassas du boulanger de Sète, elles donnent dans leur graphie patoisante la réalité incontestable du fait : on lit, dans l’édition de 1929, page 13 : « survéya » et « aouréya » ; page 199 : « aguyada » et « enguyèrou », etc. Ceux qui par ailleurs veulent se persuader de la non existence de ce LH (L mouillé) n’auront qu’à consulter l’Atlas du Languedoc Oriental, par exemple la carte 232 « feuille », et ils verront que le seul point de la côte qui articule LH, c’est Leucate, en bordure du domaine catalan c’est-à-dire très loin de Montpellier !
Le passage de U à « eu » (français « heure ») est nettement marqué par les mots suivants : bleuétta, euna, aleumés, tourneuda, figueuda, peuda, eun (deux fois) et peu, soit 9 occurrences.
Le passage de R intervocalique à D est noté par les mots : tourneuda, figue[u]da, peuda, admida, madidadas (deux fois dans le même mot !) et troubadas, soit 7 occurrences.
Le passage de J (« dj » à CH (« tch ») est noté par les mots : tchour (deux fois), toutchour (deux fois), sachétta et  courssatché, soit 6 occurrences. 
Enfin, le passage de V à B est noté dans un seul mot : Ebitta.
On remarquera que plusieurs mots présentent deux changements phonétiques et de ce fait ont peu de chance d’être immédiatement reconnus en dehors de la zone montpelliéraine : « peuda » correspond au cévenol/provençal « puro » : avec le passage de –o à –a, cela fait 3 altérations pour un mot de 4 lettres et 4 sons ! Dans le même cas sont les mots « tourneuda » (tournuro) et « figueuda » (figuro). Quant au montpelliérain « madidadàs », je défie un seul Cévenol d’en percevoir immédiatement la signification, et je doute qu’un Auvergnat, un Gascon ou un Provençal soit mieux armé !
C’est au total 23 occurrences qui ont été « effacées » par l’effet d’une normalisation graphique dont le moins qu’on puisse en dire est qu’elle altère considérablement la physionomie de la langue réelle, ce qui est le but déclaré de la graphie occitane (et c’est pour cela que nous la combattons), mais qui devrait être un interdit absolu pour tout écrivain se réclamant de la pensée graphique de Mistral. Que le grand Maillanais ait laissé s’accomplir cette vilenie sans réagir montre deux choses à son propos : il ne connaissait pas bien les parlers réels en dehors de sa Provence, et il a laissé pratiquer en Languedoc une politique d’assimilation de tous les parlers dans un cassoulet indigeste que la gastronomie locale ne saurait digérer. Tous ces faits nous confortent dans notre affirmation : non, Mistral n’était ni un grand linguiste ni même un chef d’armée bien habile, toutes choses que le grand Sully-André Peyre avait remarquées et dénoncées bien avant nous, n’en déplaise aux félibres qui continuent de vouloir réduire la pensée mistralienne vivante aux dimensions souvent si étriquées de leur seule organisation. Mais ceci est une autre histoire…



Yves Gourgaud, en Cévennes, mars 2014


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