dimanche 20 décembre 2015

Louis VERGNE : MARINO - Extrait de l’Armagna Cevenòu 2016








MARINO 
de 
Louis VERGNE




I
Aime la bèlo mar latino, 
Que, quand sa raubo diamantino 
Beluguejo e lusis à l’aflat dau sourel, 
Enverinado e baucho, bramo, 
Ou qu’en mitan de la calamo, 
Afound aperalin soun aigo embé lou ciel. 

L’aime tabé que, quand soun erso 
Dau grand boulidou se deverso, 
Grumejo e vai baisa lou front dau ribeirés, 
Bourdant, coumo uno inmenso eveto, 
L’auve ounte jai la cauquiheto, 
Lou sablas qu’espandis soun or fin su lou gres. 

L’aime quand, couflo de coulèro, 
Baucho, s’escampo su la tèro, 
Per se i encafourna din la baumo d’un ro, 
Emb’un bru de tron ; que, feriouso, 
Din sa brassado espetaclouso, 
Leco la pèiro verdo e n’en rousigo un flo. 

Es amor d’acò que vau veire 
Soun mirai linde coumo un veire, 
Quand l’aubo lou clarejo; e pioi jusco à l’aour, 
Amai boulegue pa de plaço, 
Jamai ma visto noun s’alasso 
D’aregarda la mar,…  l’aregarda toujour ! 

Aime d’ausi sa cantadisso, 
Soun plan doulent, sa bramadisso, 
Quand lou mistrau la fouito e la fai reboumbi ; 
M’agrado aussi*, quand à la mousso 
L'aureto, de sa voz tant douço, 
Demando un pichot ròdou ount poudre se cabi. 

II

I a quauques jours, m’agandiguère 
Per la veire e m’espandiguère 
Sus un ro trauquihat, e tenièi à la man 
Un ramelet de tamarisso. 
La mar s’estalouiravo lisso, 
Ticassado, d’aici d’alai, per un gabian. 

Qu’èro bèlo, ma grando amigo ! 
Juste, la lamo que coutigo 
À mous pèses veniè rire e cascaieja : 
Pioi, galejarèlo e lisqueto, 
Espouscavo su la branqueto 
La grumo que soun vam fasiè virouleja 

E, laugeireto, s’enanava, 
Dins un autre envam s’entournavo, 
Coumo per poutouna las flous de moun rampau ; 
Aurias di que lou demandavo, 
Car davans ieu toujour landavo, 
Calino, amistadouso e jamai en repau. 

E ieu, en li faguent lingueto : 
— « Lou garde per moun amigueto, 
Diguère ; l’ai coupa esprès adematis : 
L’auras pa, erso galantouno ! . . . 
E d’un poutou, d’uno poutouno, 
Elo me pagara moun brout de tamaris ! »  

Tout d’un tems lou ciel, qu’èro blave, 
S’ennegriguè ; e regardave 
Lous grands nìbous escus que l’anàvou tapa, 
Quand la mar mandèt, irejouso, 
Uno erso ardido, bauchinouso, 
Que rasejè lou ram sens poudre l’arapa. 

Alor, proumte e lèste, escalère 
Un ro pu naut e demourère 
Aplantat, enclausit, en agachant, aclin, 
L’aigo qu’en soun monto-davalo 
Fasiè de sa manto verdalo 
Viro-volta la franjo estripado ailalin, 

Emb’ un bru d’aurasso que siblo, 
La lamo, d’abord minço e fiblo, 
Se couflo, s’afourtis e, coumo uno paret, 
Dressant sa cresto que grumejo, 
Su la rivo couris, trapejo… 
D’autros i van après en bufant aderé. 

Toutos ensem m’assecutàvou 
E pioi subran m’enviroutàvou 
D’un issam fouligaud d’arderouses poutous ; 
E, redoublant sa roundinado. 
Dins lous ascles de la roucado 
Clantissiè mai que mai soun plagnun majestous ! 

E cantàvou coumo d’ourguenos, 
E sentiguère din mas venos 
Couma un grand revoulu m. Esbaudit, espantat, 
Traguère la pichoto branco 
À la grand mar que me l’aranco, 
À la mar que m’aviè’nfada de sa beuta ! 

III

Qu’es lou mau-sort que nous pivèlo, 
Qu’es lou destin que nous clavèlo 
Ou nous buto toujour vès lou toumple prefound ; 
Que nous rend dus à la tendresso, 
Tendres à la rudo caresso 
De l’amour passiounat, que sens vergougno poun ? 

Perqué traire à la mar folasso 
Lou ramèu qu’à l’erso bonasso 
Avièi emé plasé refusa tant de fes, 
Mespresant sa douço lagremo ? 
Demanda-vous quanto es la femo 
Qu’en calignant un jour voste cor, vous l’a pres ! 



Louis VERGNE




*+*+*



Traduction : MARINE


I
J’aime la belle mer latine, qui, — lorsque sa robe de diamant — étincelle et brille sous le charme du soleil, — folle et envenimée, mugit, ou lorsqu’au milieu du calme, — elle confond au loin son eau avec le ciel. 

Je l’aime aussi, quand sa vague — se déverse de la grande coupe et de son écume va baiser le rivage, — bordant, comme un immense ban, — le gravier où gît la petite coquille, — le sable qui étend son or fin sur le grès. 

Je l’aime quand, gonflée de colère, — folle, elle se jette sur la terre — pour s’y encaverner dans le creux d’un rocher, — avec un bruit de tonnerre ; lorsque, furieuse, — dans son embrassement formidable, elle lèche la pierre verte et en ronge un morceau. 

C’est à cause de cela que je vais voir — son miroir limpide comme verre, — quand l’aube l’éclaire doucement, et puis jusqu’au crépuscule — bien que je ne remue pas de place, — ma vue ne se lasse jamais — de regarder la mer, ... de la regarder toujours ! 

J’aime d’ouïr son chant, — son mugissement, sa plainte dolente, — quand le mistral la fouette et fait battre [ses flots]; — elle me plaît aussi, quand à la mousse — la brise, de sa voix si douce, — demande un petit endroit afin de pouvoir s’y blottir. 

II

Il y a quelques jours, j’allai — pour la voir et je m’étendis — sur un rocher creusé, et je tenais à la main — un petit rameau de tamaris. — La mer s’étendait lisse, — tachetée çà et là par un goëland. 

Qu’elle était belle, ma grande amie ! — Tout justement la lame qui caresse — à mes pieds venait rire et bondir; — puis, moqueuse et mincelette, — elle jetait sur la petite branche — l’écume que son élan faisait tourbillonner 

Et, légère, s’en allait ; — par un autre élan, elle retournait, — comme pour baiser les fleurs de mon rameau. — On aurait dit qu’elle le demandait, — car devant moi elle courait toujours, — câline, amicale, et jamais en repos. 

Et moi, lui en donnant envie : — « Je le garde pour ma petite amie, — dis-je; je l’ai coupé exprès ce matin : — tu ne l’auras pas, vague charmante ! — Et d’un baiser, d’une caresse, — elle me payera mon bout de tamaris. » 

Tout à coup le ciel, qui était bleu, — s’obscurcit; et je regardais — les grands nuages obscurs qui allaient le couvrir, — quand la mer envoya, furieuse, — une vague hardie et folle — qui rasa le rameau sans pouvoir l’attraper. 

Alors, prompt et agile, — je grimpai — sur un rocher plus haut, et je demeurai, — arrêté, fasciné, en regardant, incliné, — l’eau qui, dans ses hauts et ses bas, — faisait de son manteau verdâtre — tourbillonner au loin la frange déchirée. 

Avec un bruit de tempête qui siffle, — la lame, d’abord mince et faible, — se gonfle, se renforce et, comme une muraille, — dressant sa crête écumante, — court vers la rive, se précipite. — D'autres vont après elle, en grondant sans discontinuer. 

Toutes ensemble me persécutaient — et tout à coup m’environnaient — d’un essaim folâtre de baisers ardents ; — et, redoublant leurs mugissements, — dans les fentes des rochers, — elles faisaient encore retentir leur plainte majestueuse ! 

Elles chantaient comme des sirènes, — et je sentis dans mes veines — comme une grande révolution. Etonné, subjugué,  je jettai la petite branche — à la grande mer qui me l’emporte, — à la mer qui m’avait ensorcelé de sa beauté. 

III

Quel est le mauvais sort qui nous fascine, — quel est le destin qui nous cloue— ou nous pousse toujours vers l’abîme profond ;—qui nous rend durs à la tendresse, — tendres à la rude caresse — de l’amour passionné, qui nous étreint sans vergogne ? 

Pourquoi jeter à la folle mer — le rameau qu’à la vague tranquille — j’avais avec plaisir refusé tant de fois,  méprisant sa douce larme ? — Demandez-vous quelle est la femme — qui, en caressant un jour votre cœur, vous l’a pris ? 


*+*+*



NOTE :

Ce poème, publié en 1884 (à Montpellier et dans une graphie montpelliéraine) sous le titre Marina, est ici donné dans une graphie adaptée aux caractéristiques du dialecte cévenol héraultais de l’auteur, dialecte qui n’articule pas les -P, -T et –C en finale de mots. Toutes ces lettres, même écrites, sont donc muettes en fin de mot.
Nous avons facilité la lecture en écrivant O les finales atones qui s’articulent [a] dans le dialecte cévenol méridional, de Sommières jusqu’à Mauguio : Arnavielle avait déjà agi de même en publiant Langlade (de Lansargues, pays de Mauguio) dans son Armagna Cevenòu.
Nous redonnons la traduction de 1884, malgré ses nombreuses lourdeurs : comme Mistral, l’auteur avait voulu produire une traduction littérale qui ne rend pas compte de la beauté formelle du poème cévenol.

Yves Gourgaud, décembre 2015. Extrait de l’Armagna Cevenòu 2016, à paraître.

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