Colette "Provence VI"
"Pendant que j'écris, une paix frénétique, un silence exaspéré de cigales couvrent la campagne vide. A deux kilomètres d'ici, la population tropézienne aujourd'hui bout, rôtit, se mouille de sueur et s'éponge, en l'honneur de la foire Sainte-Anne, dont les charmes sont déjà fanés pour moi qui m'y rendis de bon matin. (.......)
Le milieu du jour derrière les persiennes est demi-songe, demi-nuit, flottement, torpeur consciente et légère.
La tubéreuse elle-même se repose d'embaumer. Une cendre solaire tombe du haut du ciel, s'étale sur la mer qu'elle ternit.
La feuille des mimosas plumeux se détourne de l'ardeur qui la flétrit, et ne montre que son revers blanc.
Où sont les volubilis bleus, miroirs du matin? Ils cessent de vivre quand le soleil arrive au zénith.
Midi, en Provence, ne devrait éclairer que la fertile terre déserte.
Mais les étrangers troublent en battant l'eau, en peuplant routes et plages, un ordre sévèrement établi par le climat.
Le chat prostré, l'oiseau reployé, le chien pâle et poudreux, notre couleuvre apaisée, l'âne effacé dans l'ombre des cyprès se retirent à midi de l'absurde vie des hommes.
Au lent passage de l'astre, le moindre tesson abandonné dans les forêts polluées s'allume, et darde un rayon. Une seule feuille du peuplier-tremble bat de l'aile.
Une seule rame raie le golfe, et ramène un seul pêcheur attardé, qui craint la chaleur et prend, pour gagner sa maison rose, le chemin bordé de figuiers sauvages, traverse une grand flaque de trèfle tendre que le matin voit souvent foulée, mais à l'heure de midi, le passant n'y surprend aucun couple.
Trêve imposée par un pays voluptueux, la chaste, l'écrasante méridienne sépare les amants moites que la nuit de Provence, transie juste avant l'aube, noue et rejette à leurs plaisirs. »
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Sidonie-Gabrielle Colette, dite Colette, née le 28 janvier 1873 à Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne) et morte le 3 août 1954 à Paris, est une femme de lettres française, connue surtout comme romancière, mais qui fut aussi mime, actrice et journaliste.
Après Judith Gautier en 1910, Colette est la deuxième femme élue membre de l’Académie Goncourt en 1945.
Elle en est en outre la première femme présidente, entre 1949 et 1954.
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