dimanche 8 juillet 2012

SULLY-ANDRÉ PEYRE : 3 poésies - (Marsyas N°382, décembre 1961)







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Textes choisis, recueillis & annotés
par Yves Gourgaud






LOU BONUR...

Lou bonur es causo sereno,
E lou sèntes pas quand es tiéu ;
Es pas lou canta di Sereno,
Es la mar semo de l'estiéu.

Se lou sèntes pas quand es tiéu,
L'imagines quouro te manco ;
Sus la mar semo de l'estiéu
Ié passo que de velo blanco.

L'imagines quouro te manco,
'Mé la simplesso de l'amour,
E passo que de velo blanco
Sus la mar sènso reflamour.

Dins la simplesso de l'amour
l'a ges de canta de Sereno,
Sus la mar sènso reflamour.
Lou bonur es causo sereno.



Traduction : LE BONHEUR ...

Le bonheur est chose sereine, sans le sentir tu le possèdes; ce n'est point le chant des sirènes, mais la mer calme de l'été.

Sans le sentir tu le possèdes, tu l'imagines quand il manque ; sur la mer calme de l'été ne passent que des voiles blanches.

Tu l'imagines quand il manque, dans la simplesse de l'amour ; ne passent que des voiles blanches sur la mer sans reflet de flamme.

Dans la simplesse de l'amour, les sirènes ne chantent point, sur la mer sans reflet de flamme. Le bonheur est chose sereine.


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ME PÉUTIRE ...

Me péutire en secrèt de la founsour
Ount tirasse sèns noum, avugle e sourd ;
Assaje mai de retrouba lou jour ;
Assaje de sourti d'aquéu silènci
Acantouna de moustouso vióulènci
Coume un dedins perdu d'aspro doulènci.
Mai sabe que, se l'esperfors me sèr,
I’aura davans mis iue rèn qu'un desert
Mut coume Diéu, pale coume lou sèr.



JE M'ARRACHE ... Je m'arrache en secret des profondeurs où je traîne sans nom, aveugle et sourd ; j'essaie encor de retrouver le jour. J'essaie de m'évader de ce silence refoulé de visqueuse cruauté dans un cycle perdu d’âpre douleur. Mais je sais bien, si me sert cet effort, que mes yeux ne verront rien qu'un désert, muet de Dieu, pâle comme le soir.

[Note de Yves Gourgaud : Je trouve que les traductions françaises, faites par l’auteur lui-même, ne rendent pas toujours -et même pas souvent- la texture poétique profonde de l’original provençal : peut-être parce que SA Peyre, poète français, est bien en-dessous du poète provençal, et que son écriture française, trop pétrie de classicisme, a du mal à rendre compte de la modernité de son écriture provençale. Il faut plaindre (ou tout du moins avertir) ceux qui ne liront ces poèmes qu’au travers de leur traduction : un peu comme Mistral, Peyre ne s’impose pas comme un grand traducteur de lui-même.
Cette remarque est valable pour les trois poèmes, mais plus particulièrement sans doute pour le dernier, qui est un des sommets de l’art poétique peyrenc ; et pour le dernier de ses vers, qui renferme en lui tout le grand secret de cette écriture et que je préfère traduire, au plus près de l’original, par :


« Mon silence d’enfant, il n’y avait personne pour l’entendre »

Les lecteurs de Marsyas2 se souviennent que ce tout dernier poème de Sully-André Peyre a été récemment publié ici même (en date du 28 avril 2012), mais sans sa traduction.]




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LOU JARDIN ...

Lou jardin de l'enfanço es un jardin sauvage,
De mióugrano esclatado e de chartrouso en flour.
S'après miésiècle ié fasiéu un roumavage,
Ié troubariéu plus rèn qu'un estras de labour.

L’aigo, pèr un rigòu, ié venié de la servo ;
I'avié de roussignòu perdu dins li ciprès,
D'abiho, de tavan, un pous, de vièii gerlo,
E moun estounamen. Li destrùssi l'an pres.

Lou jardin de l'enfanço es uno mescladisso
De dos orto qu'aviéu à moun coumençamen ;
L'autre dins l'abandoun enca s'emparadiso,
Uno morto belèu ié trèvo tendramen ;

Dins aquelo un lausié sus lou pous oumbrejavo,
Mai sabiéu rèn alor di nerto, di lausié.
L'an cremavo en Avoust e pièi se refrejavo.
Moun silènci d'enfant, i’avié res que l'ausié.



LE JARDIN ... Le jardin de l'enfance est un jardin sauvage, grenades éclatées et chartreuses en fleur. Si je reviens vers lui après un demisiècle, je ne trouverai rien qu'un labour déchiré. L'eau venait du bassin par un étroit ruisseau, des rossignols étaient perdus dans les cyprès ; des abeilles, des taons, un puits, de vieilles jarres, et mon étonnement. Mais ils ont tout détruit. Le jardin de l'enfance est une confusion de deux jardins où ma vie commençait ; l'autre dans l'abandon s'emparadise encore, et la tendresse d'une morte encore le hante ; un laurier ombrageait le puits de ce jardin, mais je ne savais rien des myrtes, des lauriers. L'année brûlait en Août, et puis se froidissait. Personne n'entendait mon silence d'enfant.


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1 commentaire:

REIG PHILIPPE a dit…

Peyre, c'est comme la Camargue. On peut l'aimer ou le détester pour les mêmes raisons. Mais le Solitaire de Mûrevigne, on apprend à le connaître et dès lors, on se surprend à l'aimer. Pour l'atteindre, il faut oser ôter le voile qu'il nous demande de ne pas toucher. Sa poésie est d'une profondeur insondable et en le lisant, on est prêt à tout pardonner à l'homme qui fut habité d'une intransigeance qui s'enracine dans une fidélité à l'oeuvre mistralienne au-dessus de tout soupçon. Il savait dire son admiration pour un poète et porter en même temps sur son oeuvre un regard très critique. Merci à Yves Gourgaud qui souligne que le poète Peyre n'est pas un bon traducteur de son oeuvre écrite en langue. C'est tellement vrai ! Je lis et relis régulièrement sa belle poésie, et je suis aimanté aux mots. Quand pourrons-nous bénéficier d'une réédition de son oeuvre ? Avec lui, la franchise était de mise et le génie savait reconnaître le génie. Ce n'est pas le cas de tout le monde...