dimanche 8 mai 2011

Miquèu de Camelat : La couhessiou dou Yantin

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La couhessiou dou Yantin


Que credet lhèu qu’en éy aymades quoandes e quoandes ? Nou, mics, sounqu’ûe. Qu’ère ûe yoenote dous sédze, péus blounds coume û cabelh de hourmén, dab lous oelhs blus e pregouns drin eslamats, d’aquets qui-b sémble dise : « Oun bas, gouyat, hè-t ença, estangue-t drin » e beroy hèyte, e û balans de la soue persoune quoan anabe sou cami qui-b dabe û truc dous pesants au co.

Quoan de cops m’en èri anat assède debat û espi-blanc, sabé quoan tournèsse de la borde ! Qu’èri tout sé a d’aquet arcost a demoura, a demoura. Que coumpreni lou truc dou sou esclop s’abè plabut, lou lis de la soue espartégne leuyère, se lou tems ère sec. Que bedi la soue oumpre suban l’escuride, de bèt tros loegn enla, ou sounque de près, soubentotes que cantabe d’ûe bouts clare, qui-m boutabe en ûe langou estounante. Quem passabe daban, sénse que s’en mench-hidèsse, e lou sou esclop, ou la soue espartégne que-s hasèn perdedis dens l’oumpriu de la noéyt.
Que la parley û cop de que y abè danse per la hèste au cap dou pount. Nou séy quin s’y èrem escaduts ûe doudzéne d’esbagats, tourneyan entre nous auts e espian se bère gouyate, au yessit de misse, e seré per aquiu ta l’estanga, ta l’estira drin de bou grat, drin per force, dinque au miey de l’aròu. Permou dou mè tems, sabet las gouyates n’èren pas mètches en fèyt de danses. Que las calè parla tout dous, de loungue ma ença, ha-us prouméte hère de dies per abance, e encoère n’èrem yamey segus de que bienerén. Are tant per tant se-s dits que y a bal en quauque loc, que b’en arribe û echàmi.
La Martine — qu’ère lou noum de la gouyate — e you, que-ns en dèm quauques tours amasse. E, lèu, de pòu de las machantes lengues e dous crits qui-u hasouren a case, que s’ère escapade, lèu hèyt.
Nou y a pas per dise, aquére que m’abè gahat ya. Que-ns e boulèm. E medich que coundaben de-ns marida ta la fî dous tribalhs. N’abi qu’a ha la demande e oérat quin, û sé, m’en anabi decap au sou pay: — Escoutat, mèste, la Martine que-m plats. Se la hasèm ? Se-b anaré de que-ns e maridèssem aquéste abor ?
L’òmi, mudat coume û bencilh qui-s desplégue, que s’ère quilhat e dab lou cap adendarrè, e ûe arrise trufandère sous pots :
—Quio, hòu, e aquére que t’as pensade ?
— E o, s’ou hey.
Lou me o, qu’ère û o tremoulent. Ta dise la bertat, nou sabi oun hica-m e la hounte que-m prenè, daban aquet bielh qui sénse disé-n mey m’espiabe dab lous sous oelhs ardouns, la bouque miey oubèrte, coum se se-m boulè minya.
S’ère estat de las mies traques, s’abè coundats sounque bint ou bint e cinq ans, que m’aberi yetat lou berret per terre, que m’aberi tirat la bèste e que l’aberi dit sénse mequeya : Tè, se-t sentéches nèrbi aus canets, que s’y bam ha drin touts dus. Amasse-m lou berret se gauses ! Mes, ta û òmi atau, tiran sus lous sichante, n’abi pas lou courau dou ha miasses. E puch, qui sab, oey nou-m boulè decha marida, permou de quauque hum qui-u gahabe, mes lhèu dab paciénse — e lous maourous qu’en an — tout que-s decidère autaméns. Labets que-ns en estèm sénse nat aute mout lous dus òmis. Et, û cop qui m’abi hort espiat, que-s tirè dou puchéu en hèn courre lous calhaus dou cami dab lou sou bastou d’agrèu, e, you, que-m birabi ta nouste pleyteyan en you medich. M’èri mancat de nou tourna-u cachau ?
Nou, nou, tout bis se debèm èste û die pay e hilh, s’aboussem a bibe debat lou medich teyt que balè mey de que m’at beboussi are, sénse set, ta que nou-m digoussen û die : Qu’abèt hèyt au patac l’aute cop !
Lou sé, coum de coustume, e la lue que courneyabe au pè dou cèu (qu’èrem dens û tèbe brespade de yulh), que m’escadi daban la frinèste de Martine. D’ourdenàri que y’ère a demoura-m ou senou ta que s’amièsse lèu que sabi pla balha tres trucs sou sòu, que coumprenè e nou trigabe de paréche. Coum n’ère enloc que dèy atau dab lou bastou, mes endeballes.
Sèt ores que sounèn. Que m’apressèy de la frinèste, e qu’entenouy lou pay a crida : Qu’ou bos aquet nou-m hasses dise que, qu’ou bos ? — O qu’ou bouy ! — E bé prén-lou-te, mes que-t sie per dit, nou tournes mey ta case. Oeyt ores qu’arribèn e yamey nade Martine. Mau qu’anabe ta nous auts. Batala ya hasèn deguéns, mes de mey en mey tout dous, e nou-n gahabi nat moutot. E calè demoura toute la noeyt enquio la maynade s’en biengousse abriga-s debat la mie cape ?
Ballèu n’entenouy mey nat marmoulh ; que mourin las candéles au cournè dou hoec, e que s’adroumin en case de Martine. Que hasouy dus ou tres passeys encoère e, tè, que m’en tournabi.
Lou sé despuch, a las mediches ores, que-m escadi au pè dou frinestot.
Mes, autalèu la porte que s’aubrech e, plouricouse, Martine que-m hè :
— Saube-t Yantin, a nouste nou bolen mey aço. Pay qu’a dit que meylèu
que de decha-m marida, que-m tuaré d’û cop de destrau !
— Bo, bo, tua-s la hilhe permou d’amourétes, mes nou bas pas escouta !
— Que bos que hàssi ! e tournè Martine
E aco dit, sense mey, que-m barrabe la porte d’û patac. E you, esbaryat, nou sabén mey oun da, que courrouy bères pauses dens la noeyt escure, que biengouy escouta encoère e ha dou pèc au ras de la frinèste. E, quin la troubats aquére, mes qu’èri hòu, coum s’ère tout aco û sauney, qu’anèy assedé-m au pè de l’espi-blanc a espia lous lugras qui acera hore, e lusiben e perpereyaben…
Quoan, a bèts cops e passi au ras d’aquet arboulet, au cap de tandes ans, que-m balhi ûe sarrade, mes pensat, nou m’y estangui mey.


Miquèu de Camelat,
Bite bitante,
1937.



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La confession de Jeannot



Vous croyez peut-être que j’en ai aimé des mille et des cents. Non, mes amis, je n’en aimé qu’une — une seule. C’était un vrai bouquet de jeunesse. Seize ans, des cheveux blonds comme les blés, des yeux troublants d’un bleu sombre avec, au fond, une petite flamme, de ces yeux qui semblent dire : « Mais où vas-tu, jeune homme, viens donc par ici, arrête-toi un peu ». Elle était faite au tour et savait si bien bouger son corps en marchant que mon coeur en battait la chamade.
Combien de fois ne suis-je pas allé m’asseoir sous un buisson d’aubépine à épier le moment où elle sortirait de la grange ! Soir après soir, j’étais à l’affût et j’attendais, j’attendais à n’en plus finir. Je reconnaissais le clapotement de son sabot sur la terre gorgée d’eau et, par temps sec, le glissement léger de sa sandale. Je guettais l’ombre de son corps sur le chemin, longue et de loin venue, ou bien courte et toute proche, selon la clarté du jour. Il lui arrivait bien souvent de chanter d’une voix claire qui pénétrait mon coeur d’une étrange langueur. Mais elle passait sans me voir, et le bruit du sabot ou bien celui de la sandale allait se perdre dans la profondeur des ténèbres.
Un jour, je lui ai parlé pour la première fois, c’était la fête du village au bout du pont. Je ne sais trop comment on s’était trouvés là, une douzaine de gars à glandouiller et tourner en rond pour voir si quelque jolie fille, après la messe, ne passerait pas de notre côté. On l’aurait arrêtée, et de gré ou de force, un peu des deux, on l’aurait entraînée dans le cercle des danseurs.
C’est que, de mon temps, voyez-vous, les filles ne se laissaient pas si facilement inviter au bal. Il fallait leur parler avec ménagement, bien préparer son affaire et leur arracher longtemps à l’avance la promesse d’une danse, sans du reste être jamais sûr qu’elles viendraient. De nos jours, pour peu qu’on sache qu’il y a bal quelque part, il vous en arrive en veux tu en voilà.
Ce jour-là, Martine et moi — Martine, c’était son nom — on s’est fait quelques tours de danse ensemble. Mais, tout d’un coup, par crainte des commérages et des engueulades à la maison, là voilà qui s’échappe sans crier gare.
Il n’y a pas de doute, cette fille, elle m’avait tourné la tête. Et on voulait se marier. On avait même prévu la noce à la fin de l’été, une fois achevés les travaux des champs. Je n’avais qu’à faire ma demande. Un soir, donc, je vais voir son père et je lui dis :
— Voilà, maître, la Martine me plaît. Si on fixait une date ?
Ça vous irait qu’on se marie à l’automne ?
Tel une branche pliée qu’on relâche d’un coup, l’homme s’était redressé et, le menton en avant, un sourire narquois aux lèvres, il me lance :
— Ben voyons, t’as sorti ça de ta petite tête ?
— Ben oui, que je lui fais.

J’avais prononcé ce “oui” du bout des lèvres. En fait, je ne savais pas où me fourrer, j’étais saisi par la honte devant ce vieil homme qui, sans un mot de plus, m’examinait de ses yeux ardents, la bouche entrouverte comme pour me bouffer. S’il avait eu mon gabarit, s’il n’avait eu que vingt ou vingt cinq ans, je t’aurais flanqué mon béret par terre, j’aurais tombé la veste et je lui aurais fait, sans mâcher mes mots : « Eh, oh !, si t’en as, viens donc en tâter un peu. Ramasse-moi ce béret pour voir ! ».
Mais, étant donné l’homme que c’était, bientôt la soixantaine, je n’avais pas trop envie de le provoquer. Et puis, aujourd’hui il ne veut pas entendre parler de mariage, allez
donc savoir pourquoi, mais peut-être bien qu’avec un peu de patience — il en faut quand on est amoureux — il pourrait changer d’avis. Alors, lui et moi, on en restés là. Après m’avoir dévisagé tout à son aise, il a vidé les lieux en frappant les cailloux du chemin de son bâton de houx. Moi, je suis rentré à la maison en gambergeant. J’aurais dû lui en mettre une ? Non, non, tout compte fait, si on devait un jour être beau-père et gendre, si on était appelés à vivre ensemble sous le même toit, autant en avaler une de couleuvre, et sans renâcler, qu’on n’aille pas nous dire ensuite, un de ces quatre : « Vous avez tout de même eu une prise de bec ! ».
Le soir même, il y avait un croissant de lune à l’horizon — c’était une tiède soirée de juillet — je me pointe comme d’habitude devant la fenêtre de Martine. D’ordinaire, elle attendait mon signal et venait sans tarder ; je frappais le sol trois fois de mon bâton, j’avais pris le coup ; elle comprenait et se montrait bien vite. Ce n’était pas encore l’heure, mais j’ai quand même fait le signal. Pas de réaction. Sept heures sonnent.
Je m’approche de la fenêtre et j’entends son père crier : « Tu le veux ce… ne me fais pas dire quoi… tu le veux ? ». « Oui, que je le veux ! ».« Eh bé, prends-le, mais ne remets plus jamais les pieds ici, tiens-te le pour dit ! »
À huit heures, toujours pas de Martine. On était mal partis. À l’intérieur, ça discutaillait toujours, mais de moins en moins fort et à la fin, je n’arrivais même plus à distinguer un seul mot. Vous croyez que j’aurais dû rester planté là toute la nuit, attendre que la gamine vienne se réfugier au creux de mon épaule ?
Bientôt je n’ai même plus entendu le moindre chuchotement ; au coin du feu, les bougies s’étaient éteintes. Toute la maisonnée était endormie. J’ai encore fait les cents pas puis, que voulez-vous, je suis rentré chez moi.
Le lendemain soir, à la même heure, je reprends mon poste en face de la fenêtre. Aussitôt la porte s’ouvre et Martine vient en pleurnichant :
— Sauve-toi, Jeannot. Chez nous, on veut plus de ça. Papa m’a dit que plutôt que de me laisser t’épouser, il me tuerait à coup de hache
— Bah ! tuer sa fille parce qu’elle a un amoureux, tu ne vas tout de même pas le croire !
— Que veux-tu que j’y fasse ! me rétorque Martine.
Sur ces mots, pas un de plus, elle me claque la porte au nez.
J’en ai été tourneboulé, je ne savais plus quoi faire, j’ai couru longtemps dans la nuit noire, puis je suis revenu écouter à la fenêtre, pauvre petit imbécile que j’étais. Qu’est-ce que vous en pensez ? J’avais perdu la tête, c’était comme un mauvais rêve. Je suis allé m’asseoir au pied du buisson d’aubépine, perdu dans la contemplation des étoiles qui, tout là-haut, brillaient et scintillaient.
Quand, bien souvent, je repasse devant ce buisson, au bout de tant et tant d’années, j’ai comme un serrement de coeur, mais, croyez-moi, je ne m’arrête plus jamais.

Traduit du béarnais
par André Joly-Suberbielle
Sa bio en cliquant ce lien

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