Synonyme de symboles, de poésie, d'Histoire & de traditions, Armand Lunel reprend à son compte la Provence qu'il fut & qu'il était.
Dernier héritier de la langue judéo-comtadine, les 2000 milles ans d'histoires qu'il sous-entend dans son propos sont les nôtres mais aussi de celles et ceux qui nous succéderont!
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LA PROVENCE DE MISTRAL
C'est bel et bien une fringale d'éblouissement, compensatrice de tout un arrière-train inavoué de déceptions, à laquelle il arrive, en se sublimant, d'engendrer l'irrésistible tendance à la cristallisation romantique de notre passé. Voilà donc comment, bien que séparés par l'inter- valle de presque un siècle, Jeanne métamorphosée en reine de contes de fées et René promu roi de pastorale ont formé à nos yeux un couple monarchique idéal. Quels que fussent leurs défauts, leurs erreurs, leurs faiblesses et leurs tares, il nous fallait absolument une grande Reine et un grand Roi. Réhabilitation, mais strictement imaginaire, qui fut pour le morceau principal l'œuvre des Nostradamus, eux-mêmes — on l'a vu — approuvés et félicités par Mistral, qui allègrement prit leur relais et, jonglant avec ce qu'il est permis d'appeler la galé- jade historique, eut ce rare bonheur de l'épanouir jusqu'aux étoiles. André Chénier fait dire à sa Jeune Captive :
L'illusion féconde habite dans mon sein;
D'une prison sur moi les murs pèsent en vain;
J'ai les ailes de L'Espérance.
De cette illusion féconde, celle de l'évasion poétique, Mistral a joué admirablement. Dans La Comtesse, ce poème des Iles d'Or, où éclate sa protestation lyrique contre les méfaits de la centralisation, n'a-t-il pas pleuré la Provence comme elle aussi une noble captive, princesse recluse, victime de sa demi-sœur (la France) qui, pour avoir son héritage, l'a séquestrée dans le cloître d'un couvent? C'est elle qui apparaît encore dans une autre pièce du même recueil L'Amiradou, Le Belvédère, sous la forme d'une Reine-fée qui se cache dans le château de Tarascon, où elle attend le Troubadour de son cœur pour lui offrir du haut de sa terrasse toute l'étendue de son royaume en apanage; et ce Troubadour combien ardent! combien heureux! Mistral ne nous le dit pas; mais que c'est lui, comment ne pas le deviner ? Le mot de la fin, le mot-clef, il ne nous reste plus qu'à le chercher dans le Parangoun, l'Archétype, qui ouvre le dernier recueil du Maître et son chant du cygne. Les Olivades, avec une fois de plus l'image d'un château où la Provence est endormie, comme La Belle au Bois dormant. Tenter sa délivrance et sa résurrection, tel est le songe héroïque dont Mistral a voulu s'enchanter. Songe, mensonge! Revenir effectivement en arrière, renverser la marche irréversible du temps, ressusciter matériellement tous les âges d'or de la Provence d'autrefois, aussi bien celle de Gyptis tendant la coupe nuptiale au Jeune chef des Phocéens que celle d'Arles, métropole impériale, que celle des Cours d'Amour ou celle d'Avignon, capitale des papes français. Mistral a dû s'avouer que ce n'est plus possible. Songe, mensonge? Non! car à la réalité décevante du présent le vrai poète est celui qui, pour la surmonter, opposera les puissances du rêve; et c'est ce que Mistral a réussi à nous faire entendre magnifiquement dans la strophe finale de son Archétype :
II suffit : sur la mer de l'Histoire, pour moi,
Tu fus, Provence, un pur symbole,
Un mirage de gloire et de victoire
Qui, dans la trahison ténébreuse des siècles,
Nous laisse voir un éclair de Beauté.
Provence, la sienne donc dans son harmonieuse diversité, totale en profondeur, puisque, pour mieux fleurir dans le ciel, elle plonge ses racines dans la nuit tellurique des millénaires ; chrétienne, catholique certes par priorité sous le signe de sainte Estelle, patronne du Félibrige; mais préhistorique aussi, ligure, celte, grecque, romaine, sarrasine et, par ses Juifs du Comtat, hébraïque; ne reniant rien de son antique héritage et de ses plus lointaines, de ses plus obscures aspirations vers le divin, avec le cortège toujours vivant de ses farfadets, de ses lutins, de sa Chèvre d'or, de ses chats-sorciers, de ses mantes religieuses devineresses, bref avec tout le charme, tout le merveilleux de son folklore; Provence provençale et humaine, régionale et universelle, par sa leçon de fidélité, valable pour tous les hommes du monde, au trésor spirituel du pays natal; Provence, et je m'en réfère ici à la formule proustienne, perdue et retrouvée, perdue par les vicissitudes de l'Histoire et de révolution sociale, retrouvée par le génie platonicien de celui qui, en l'élevant sur les ailes de sa poésie, a su en faire, pour sa joie et pour notre joie autant que pour notre édification, une Provence exemplaire, idéale et immortelle.
D'une telle mission menée à si bon terme. Mistral avait le droit d'être fier et ne s'en est pas fait faute; au point que, dans le plus émouvant de tous ses sonnets celui qui achève et couronne Les Olivades, il se demande ce que les passants des siècles futurs pourront dire devant son tombeau : d'abord que ce fut celui du poète qui chanta la belle Mireille; puis plus tard, celui d'un qu'on avait élu roi de Provence; et plus tard encore, beaucoup plus tard, celui d'un Mage, — Car d'une étoile à sept rayons — Le Monument porte l'image. Est-ce son cher Michel de Nostradamus, Mage de Salon, qui lui donna l'idée de se sacrer, pour la légende de l'avenir, Mage de Maillane ?
Pourquoi pas ? Ce qui n'est pas douteux, c'est que dans sa transfiguration de la Provence, il ne c'est lui-même pas oublié, ayant toujours mis beaucoup de soin à se draper dans l'attitude la plus profitable à sa renommée, comme M. de Chateaubriand, mais avec infiniment plus d'aisance, sans se guinder, en corrigeant au besoin ce que sa mise en scène personnelle ou la dévotion de ses disciples pouvaient avoir d'un peu théâtral par le sourire du coin des lèvres et le grain de sel de son exquise malice. Il s'affirmait tout à la fois si glorieusement et si modestement provençal qu'il refusa d'entrer à l'Académie française, qui lui aurait ouvert toutes grandes ses portes; et s'il assista de son vivant à l'érection de sa statue sur la place du Forum à Arles, il lui advint par la suite, en se regardant figé dans le bronze avec le manteau sous le bras, de s'exclamer :
- II ne me manque que la valise!
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