dimanche 14 juin 2015

Jean Racine à Uzes - sur une présentation de catarino lacroix




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Jean Racine : La Ferté-Milon 22 décembre 1639 - Paris 21 avril 1699
À 18 ans, Racine est orphelin et dépourvu de biens (mais non pas pauvre, contrairement à la légende, car il est toujours soutenu par son riche tuteur)
En 1661, tombé gravement malade d'une fièvre qui sévit dans tout le nord de la France il est envoyé passer sa convalescence à Uzès.
Le choix d'Uzès s'explique par le fait que l'un de ses oncles, le Père Sconin, y réside, et espère pouvoir lui faire obtenir l'un de ses bénéfices ecclésiastiques, ce qui permettrait à Racine de pouvoir se consacrer pleinement à l'écriture tout en étant assuré sur le plan matériel par le revenu d'une cure ou d'un prieuré 
 HYPERLINK "http://books.google.com/books?id=X2YOAAAAYAAJ&dq=inauthor%3AJean inauthor%3ARacine intitle%3Alettres&lr=&pg=PA23" \l "v=onepage&q=&f=false"LETTRE VII (Oeuvres de Jean Racine, publiées par M. Petitot.- Paris: Belin, 1813, tome cinquième)

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A M. DE LA FONTAINE.
Uzès, 11 novembre 1661, 
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Au reste, pour la situation d’Uzès, vous saurez qu’elle est sur une montagne fort haute, et cette montagne n’est qu’un rocher continuel, si bien que quelque temps qu’il fasse on peut aller à pied sec tout autour de la ville. Les campagnes qui l’environnent sont toutes couvertes d’oliviers , qui portent les plus belles olives du monde, mais bien trompeuses pourtant; car j’y ai été attrapé moi-même. Je voulois en cueillir quelques-unes au premier olivier que je rencontrai, et je les mis dans ma bouche avec le plus grand appétit qu’on puisse avoir; mais Dieu me préserve de sentir jamais une amertume pareille à celle que je sentis! J’en eus la bouche toute perdue plus de quatre heures durant: et l’on m’a appris depuis qu’il fallait bien des lessives et des cérémonies pour rendre les olives douces comme on les mange. L’huile qu’on en tire sert ici de beurre, et j’appréhendois bien ce changement; mais j’en ai goûté aujourd’hui dans les sauces, et, sans mentir, il n’y a rien de meilleur. On sent bien moins l’huile qu’on ne sentiroit le meilleur beurre de France. Mais c’est assez vous parler d’huile, et vous pourrez me reprocher, plus justement qu’on ne faisoit à un ancien orateur, que mes ouvrages sentent trop l’huile. 
Il faut vous entretenir d’autres choses, ou plutôt remettre cela à un autre voyage, pour ne vous pas ennuyer. Je ne me saurois empêcher de vous dire un mot des beautés de cette province. On m’en avoit dit beaucoup de bien à Paris, mais, sans mentir, on ne m’en avoit encore rien dit au prix de ce qui en est et pour le nombre et pour l’excellence; il n’y a pas une villageoise, pas une savetière, qui ne disputât de beauté avec les Fouillon et les Menneville[4]. Si le pays, de soi, avoit un peu de délicatesse, et que les rochers y fussent un peu moins fréquents, on le prendroit pour un vrai pays de Cythère. Toutes les femmes y sont éclatantes, et s’y ajustent d’une façon qui leur est la plus naturelle du monde. Et pour ce qui est de leur personne,
Color verus, corpus solidum et succi plenum[5].
Mais comme c’est la première chose dont on m’a dit de me donner de garde, je ne veux pas en parler davantage; aussi-bien ce seroit profaner une maison de bénéficier[6] comme celle où je suis, que d’y faire de longs discours sur cette matière: Domus mea, domus orationis[7]. C’est pourquoi vous devez vous attendre que je ne vous en parlerai plus du tout. On m’a dit: soyez aveugle. Si je ne le puis être tout-à-fait, il faut du moins que je sois muet. Car, voyez-vous, il faut être régulier avec les réguliers[8], comme j’ai été loup avec vous, et avec les autres loups vos compères.
Adiousias.   
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« Je vous jure que j’ai autant besoin d’un interprète, qu’un Moscovite en auroit besoin dans Paris. Néanmoins je commence à m’apercevoir que c’est un langage mêlé d’espagnol et d’italien; et comme j’entends assez bien ces deux langues, j’y ai quelquefois recours pour entendre les autres et pour me faire entendre. »

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https://cercamon.wordpress.com/2009/12/17/jean-racine-lettres-duzes-1661-1662-extraits
Jean Racine : lettres d'Uzès (1661-1662 extraits )

Lettre à M. l’abbé Le Vasseur du 24 novembre 1661 (pp. 70-71)
J’ai été à Nîmes, et il faut que je vous en entretienne. Le chemin d’ici à Nîmes est plus diabolique mille fois que celui des diables à Nevers, et la rue d’Enfer, et tels autres chemins réprouvés; mais la ville est assurément aussi belle et aussi polide, comme on dit ici, qu’il y eu ait dans le royaume. Il n’y a point de divertissements qui ne s’y trouvent (…) j’étois détourné par d’autres spectacles: il y avoit tout autour de moi des visages qu’on voyoit à la lueur des fusées, et dont vous auriez bien eu autant de peine à vous défendre que j’en avois. Il n’y en avoit pas une à qui vous n’eussiez bien voulu dire ce compliment d’un galant du temps de Néron: Ne fastidias hominem peregrinum inter cultures tuos admittere: invenies religiosum, si te adorari permiseris[1]. Mais pour moi, je n’avois garde d’y penser; je ne les regardois pas même en sûreté; j’étois en la compagnie d’un révérend père de ce chapitre, qui n’aimoit point fort à rire…


Lettre à M. l’abbé Le Vasseur du 3 février 1662 
Vous saurez qu’en ce pays-ci on ne voit guère d’amours médiocres: toutes les passions y sont démesurées; et les esprits de cette ville, qui sont assez légers en d’autres choses, s’engagent plus fortement dans leurs inclinations qu’en aucun autre pays du monde. Cependant , excepté trois ou quatre personnes qui sont belles, on n’y voit presque que des beautés fort communes. La sienne est des premières; et il me l’a montrée tantôt à une fenêtre, comme nous revenions de la procession, car elle est huguenote, et nous n’avons point de belles catholiques. Il m’en est donc venu parler fort au long, et m’a montré des lettres, des discours, et même des vers, sans quoi ils croient que l’amour ne sauroit aller. Cependant j’aimerois mieux faire l’amour en bonne prose que de le faire en méchants vers; mais ils ne peuvent s’y résoudre, et ils veulent être poètes à quelque prix que ce soit. Pour mon malheur, ils croient que j’en suis un, et ils me font juge de tous leurs ouvrages. Vous pouvez croire que je n’ai pas peu à souffrir; car le moyen d’avoir les oreilles battues de tant de mauvaises choses, et d’être obligé de dire qu’elles sont bonnes? J’ai un peu appris à me contraindre et à faire beaucoup de révérences et de compliments, à la mode de ce pays-ci. 

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à M. Vitart du 30 mai 1662 (pp. 115)
Une jeune fille d’Uzès, qui logeoit assez près de chez nous, s’empoisonna hier elle-même avec de l’arsenic, pour se venger de son père qui l’avoit querellée trop rudement. Elle eut le temps de se confesser, et ne mourut que deux heures après. On croyoit qu’elle étoit grosse, et que la honte l’avoit portée à cette furieuse résolution. Mais on l’ouvrit tout entière, et jamais fille ne fut plus fille. Telle est l’humeur des gens de ce pays-ci: ils portent les passions au dernier excès. 



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