mardi 8 juin 2010

André COURET : HOMMAGE AUX MINEURS CEVENOLS - 1842 - poème avec traduction Française

.



HOMMAGE AUX MINEURS CEVENOLS

André COURET (né vers 1795)

Ce maître d’école protestant à la bourse plate mais à l’inspiration riche, a construit dans les années 1840 une oeuvre variée et originale dans le journal marseillais de Désanat : Lou Bouil-abaïsso. Cet Alésien d’adoption est l’un des premiers écrivains de Langue d’Oc à s’être intéressé à l’aspect industriel de son pays, mettant en vers les fonderies d’Alès puis les mines de la Grand Combe. Il faut signaler aussi (et ceci explique cela) que Couret est l’un des pionniers du socialisme républicain en Cévennes ; il prendra les armes contre le coup d’état du futur Napoléon III et deviendra un proscrit dont on a perdu la trace. Le texte ici reproduit prouve que Couret, en plus de sa sympathie politique pour la classe ouvrière, avait une réelle connaissance technique et humaine de la Mine et des Mineurs.
La graphie a été mise aux normes mistraliennes, sans changer la langue. Quelques mots de lecture problématique (des emprunts au français) sont en italiques. On a mis entre parenthèses des lettres qui ne sont pas dans le texte original mais qui aideront à la lecture.


Yves Gourgaud



0+0+0+0+0+0+0


LAS MINOS DE LA GRAND COUMBO
à moun camarado DESANAT



D’abord que cregnes pas de sali ta frimousso
En vesitan(t) l’endrech que prouduis lou carboun,
Intren per arriva dins l’engin vagabound
Que despiei soun depart fai lou trajet d’un bound,
Talamen que diriés que lou diable lou pousso.

I’a tres legos das au(t)s fournéus,
E coumo soun siblet a poussa sa chamado,
Per prene un buletin renden-nous au buréu.
De vagouns vides uno armado
Soun atalas à l’instrumen;
Deja de la machino uno grosso fumado
S’escapo per floucouns, e gagno vers lou ciel.
La prendriés au premié cop d’iel
Per de lano d’agnel bien fino e bien cardado.
À forço de mounta s’espandis talamen
Qu’à la segui tous iuels rìscou de se marfoundre,
E piei à la fin vai se foundre
Dins las vapous dau firmamen.

Autrofés la mountado ero longo e rapido;
Mès graço au saven(t) rabot
De Didion e de Talabot,
S’es parfetamen aplanido.
Lous serres partejas en dous
Preséntou de pertout l’aspet d’uno carrieiro
D’ounte s’es retira de grosses caladous
Qu’an servi à coumbla lous bords de la rivieiro,
E mes la routo de nivel.
Avant que d’arriva traversan un tunel
Counstrui dessouto uno mountagno.
Mès de faire uno descripcioun
Diras que la rajo me gagno;
Que preferes tout veire; eh be! fai atencioun,
Car lou terrible Brulo-Ferre
S’avanço per nous veni querre.
Mès marcho tant roundamen
Que trouvaras pas soulamen
Lou tems de regarda d’ounte boufo la biso,
Car dins mens de miejouro arrivan à la Piso;
E lou terrible engin redoublo soun caquet
Per dire qu’es aqui que pauso soun paquet.
Près d’un endrech bourda de cinq ou sieis barracos
Aro foudra segui lou planché de las vacos .
Troubaras de crestians talamen mascaras
Que de toutes tous iuels venamen cercaras
À saupre de sa car la coulour primitivo;
Mès la feno lou soir lou met à la lessivo
Per que lou lendeman sus soun minois fripoun
L’on descouvrigue pas la traço das poutoun;
Car sans aquel mouien la marrido vesino
Countarié quant de fes se soun fach bono mino;
E dins fort pau de tems lou sexo babihard
Signalarié pertout lou qu’es lou pu... gaiard.
E penses ben qu’alor la laido e la poulido
Voudrié toujour avé la figuro salido.
T’atèndies pas aici de veire res de béu:
Lou peïs desoula e nus coumo un toumbéu
Prouduis tant soulamen lou brus e l’alaterno.
Tantot-ci, tantot-lai, trobes quauco caserno
Ounte chaque minur per tout apartamen
Embe cinq francs per mes trobo tant soulamen
Un pichot cambrihoun per touto sa famiho.
Aussi t’avises pas de cerca ce que briho:
Counóuissou pas aici las glaços, lous lambris,
Lous marbres ciselas que fabrico Paris
E tant d’autres objets de luxe e d’eleganço.
Lou que pot estala sieis tassos de faianço,
Un sucrié bigarra, dous candeliés d’estan,
Un tabléu de dès sòus, se creira tout autant
Que lou pu gros milord qu’a proudui l’Angleterro.
Lou prouduit dau peïs es tout dessouto terro,
E quand veiras un trau que bado coumo un four,
Ounte fòu prene un lum per veire en plen miejour,
Podes estre segu que l’afrouso gareno
Ranfermo de mortels au mens uno centeno.
Piei quand apercevras de massos de carboun
Davant chaco ouverturo entassa per mouloun,
Diras que n’i aurié prou per escaufa l’estuvo
Que fai sourti de fioc dau ventre dau Vesuvo.
Aqui s’en vei de gros, de tris e de grana.
Lou premié se descend per un plan inclina
Jusqu’à ce qu’es sourti dau camin de traverso,
E fai toujour l’oubjet dau principal coumerço.
Lou grana que vau mens, qu’es mens propre au transport,
Se brulo dins l’endrech, per evita lou port.
Lou tris, coumunamen, s’emplego per la forjo;
Mès coumo s’en sort tant que de pertout regorjo,
L’entasson en fournéus per lou faire crema
Jusqu’autant qu’à la fin, en coke transfourma,
Laugé coumo lou bos e priva de soun soufre,
S’envai das auts fournéus alimenta lou goufre.

Save pas ce que soun Rivo-de-Gier, Anzin,
Mès se vesiés jamai aquel grand magasin,
Diriés que lous savens que fan de statistico
E das prouduits francès nous dònou la rubrico,
Quand de nostre peïs pàrlou pas soulamen,
An manca de justiço ou de resounamen;
Car aici lou carboun es causo tant coumuno
Que dau pu gros banquié depasso la fourtuno;
E se lou grand proujet que venon d’adoupta
Graços à Talabot ven à s’executa,
Veiras nostres counvois qu’arrivaran en masso,
E de Marsiho meme encoumbraran la plaço.


/.../
Bouil-abaïsso n° 71, 10/VI/1842

0+0+0+0+0+0+0




LES MINES DE LA GRAND’COMBE
À mon camarade Désanat

(traduction française d’Yves Gourgaud)

Puisque tu ne crains pas de salir ta frimousse en visitant l’endroit qui produit le charbon, pour y arriver entrons dans l’engin vagabond qui, depuis son départ, fait le trajet d’un seul bond, si bien qu’on dirait que le diable le pousse. Il y a trois lieues de distance depuis les hauts fourneaux, et comme son sifflet a lancé son appel, rendons-nous au bureau pour prendre un billet. Une cohorte de wagons vides sont attelés à la machine; déjà une grosse fumée s’en échappe par flocons, et gagne le ciel. À première vue, tu la prendrais pour de la laine d’agneau, bien fine, bien cardée. À force de monter, elle s’étale tellement qu’à vouloir la suivre tes yeux risquent de se morfondre; puis elle va finalement se fondre dans les vapeurs du firmament. Autrefois, la montée était longue et raide, mais grâce à l’ingénieux rabot mis au point par Didon et Talabot, elle s’est parfaitement aplanie. Partagées en deux, les montagnes présentent partout l’aspect d’une carrière d’où on a retiré de gros blocs qui ont servi à combler les bords de la rivière et ont mis la route à niveau. Avant d’arriver, on traverse un tunnel construit sous une montagne... Mais tu vas dire que la rage me prend de te faire une description, et que tu préfères tout voir; eh bien! fais attention, car le terrible Brûle-Fer s’avance pour venir nous prendre. Mais il marche si lestement que tu ne trouveras même pas le temps de regarder d’où vient le vent, car en moins d’une demi-heure nous arrivons à La Pise, et le terrible engin redouble son caquet pour dire que c’est là qu’il dépose ses bagages. Près d’un endroit bordé de cinq ou six barraques, il faudra maintenant suivre le plancher des vaches. Tu trouveras des chrétiens tellement barbouillés que, de tous tes yeux, tu chercheras en vain à savoir la couleur primitive de leur chair; mais, le soir, leur femme les met à la lessive afin que, le lendemain, sur leur minois fripon, on ne découvre pas la trace des baisers; car, sans cela, la méchante voisine raconterait combien de fois ils se sont fait bonne mine; et dans bien peu de temps le sexe babillard signalerait partout celui qui est le plus...gaillard. Et tu penses bien qu’alors la laide comme la jolie voudrait toujours avoir la figure salie! Ne t’attends pas ici à voir rien qui soit beau: le pays, désolé et nu comme un tombeau, ne produit que la bruyère et la laterne (clathrus cancellatus). Tantôt ici et tantôt là, on trouve quelque logement où chaque mineur, pour cinq francs par mois, ne trouve pour tout appartement qu’une chambrette pour toute la famille. Aussi ne t’avise pas de rechercher le clinquant: ici on ne connaît pas les miroirs, les lambris, les marbres ciselés que Paris fabrique avec tant d’autres objets de luxe et d’élégance. Celui qui peut étaler six tasses de faïence, un sucrier bigarré, deux chandeliers d’étain et un tableau de dix sous, se rengorgera tout autant que le plus gros milord qu’ait produit l’Angleterre. La production du pays est entièrement sous terre, et quand tu verras un trou qui s’ouvre comme un four, où il faut prendre une lanterne pour y voir au beau milieu du jour, tu peux être sûr que cette affreuse garenne renferme au moins une centaine de mortels. Puis quand tu apercevras des masses de charbon entassées devant chaque ouverture, tu diras qu’il y en aurait assez pour chauffer l’étuve qui fait sortir du feu du ventre du Vésuve. On y voit du gros, du tris et du grana (en blocs, en poudre et en grains). Le premier se descend, par un plan incliné, jusqu’à sa sortie du chemin de traverse, et il fait toujours l’objet du commerce principal. Le grana, qui vaut moins, qui est moins apte au voyage, se brûle sur place, pour éviter le transport. Le tris s’emploie communément pour les forges; mais comme on en sort tellement (partout il regorge), il est entassé dans les fourneaux pour le faire brûler jusqu’à ce que, finalement transformé en coke, léger comme du bois et privé de son soufre, il s’en aille alimenter le gouffre des hauts fourneaux. J’ignore ce que sont Rive-de-Gier et Anzin, mais si jamais tu voyais ce grand magasin, tu dirais que les savants qui font des statistiques et qui nous donnent la rubrique des produits français manquent de justice et de raison lorsqu’ils ne parlent même pas de notre pays; car ici le charbon est chose si commune que sa valeur dépasse la fortune des plus gros banquiers; et si le grand projet qu’on vient d’adopter vient à s’exécuter, grâce à Talabot, tu verras nos convois arriver en masse, et encombrer jusqu’aux places de Marseille…


André COURET
(Alès) 1842




.

2 commentaires:

Brigetoun a dit…

honneur à eux, honneur à lui

Chantal a dit…

Honneur à tous les mineurs, en mémoire de mon père.