samedi 4 août 2012

SULLY-ANDRÉ PEYRE : MISTRAL SANS FIN - (Marsyas N°382, décembre 1961)

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Présenté, mis en page & recueilli
par Ive Gougaud






HOMMAGE À SULLY-ANDRÉ PEYRE
(Marsyas N°382, décembre 1961)



Nous voici arrivés au terme de l’œuvre peyrenque : le 13 décembre 1961 il meurt, laissant comme ultime production ce numéro de Marsyas dans lequel nous sommes évidemment tentés de lire en chaque texte un testament… Nous commençons par sa critique mistralienne, donnée comme tant d’autres sous le titre de :




MISTRAL SANS FIN


Je crois qu'en étudiant Mistral, je me suis toujours efforcé de me dépouiller de toute prévention, et de me baser non seulement sur des faits apparents mais sur les motifs intimes tels que la réserve mistralienne ne laisse pas de faire transparaître dans son oeuvre.
Et justement, je me suis d'abord méfié de ceux pour qui la religion de Mistral est, si l'on peut dire, un impératif personnel, et de ceux pour qui sa mécréance, ou plutôt son paganisme, est également un impératif personnel.
J'ai été fort aidé dans mon essai d'objectivité par le livre de Léon Teissier Mistral chrétien et par celui de Barthélémy A. Taladoire Le sentiment religieux chez Mistral. Mais je dois reconnaître que si l'on trouve dans l'ouvrage de Léon Teissier l'impératif catholique, et beaucoup plus de nuances persuasives (lorsqu'elles ne sont pas absolument négatives !) dans celui de Taladoire, je ne connais pas encore d'étude où l'affirmation d'un Mistral mécréant soit un impératif personnel, sauf, me dira sans doute Pierre Millet, dans mes propres études.
Nous avons d'ailleurs essayé, Marcel Decremps et moi, dans la Revue de langue et littérature provençales, No 1, Mireille, poème Chrétien ?, de dialoguer son impératif (catholique) et le mien.

Oui, «Mistral sans fin » et, dans le labyrinthe du génie, quel fil d'Ariane sera suffisant ?
S'il faut remonter pourtant jusqu'à l'enseignement exotérique de la religion d'une part, et son enseignement ésotérique d'autre part, je crois que l'on peut affirmer que Mistral n'a reçu de la religion chrétienne ou, pour mieux dire, catholique, qu'une instruction exotérique, et que, s'il a acquis ensuite une notion ésotérique de cette religion, cela a été par une intuition personnelle et dans les limites même de sa sagesse.
On trouve, par exemple ( Dans la revue En terro d’Arle, No 22, Octobre 1908) lequel n'a pas été, que je sache, recueilli dans ses oeuvres de prose, un dialogue de lui : Dins l'autre mounde, contenant avec une esquisse du Parangoun des Óulivado, l'idée dantesque qu'il y a plusieurs sphères dans le Paradis, une hiérarchie parmi les élus.
Mais Dante n'avait fait que développer la parole de Jésus : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père », et Mistral ne manque pas de rappeler ce verset de l'Evangile.



Il resterait à discerner jusqu'à quel point Mistral s'est laissé gâter par Lassagne et si dans l'admiration légitime que nous avons pour son génie de poète commençant d'abord comme Dante par créer sa langue, nous ne subissons pas l'éblouissement de l'éternité jusques à ne plus voir les ombres, j'allais dire les taches, de l'opportunisme.
Mistral, consacrant sept années, les premières de sa conscience poétique, à écrire Mirèio, et publiant le poème au seuil de sa trentième année, ne pouvait guère, même s'il avait eu déjà la maturité nécessaire, s'imposer, même avec le miraculeux secours de l'agnostique Lamartine, par une oeuvre qui s'écartât trop des conventions, comme il devait le faire sept ans plus tard avec Calendau, et, après l'interlude catholique aussi de Nerto, plus encore avec le paganisme du Pouèmo dóu Rose.

On peut a priori penser que Mistral a su, selon le sujet du poème, y manifester tel ou tel aspect de la vie, des coutumes, dans lesquels il faisait se mouvoir ses héros ; mais on peut aussi inférer qu'au fur et à mesure (à fleur et à mesure, comme on le dit poétiquement en provençal) que sa liberté intérieure se révélait à lui, il la révélait dans son oeuvre, Nerto n'étant, fautil le répéter, qu'un interlude de détente, ou d'opportunisme.

Comme veut bien le faire remarquer Pierre Millet, je me suis toujours élevé contre le sacrifice involontaire ; mais je n'ai justement jamais cru que le sacrifice de Mireille fût volontaire. Le jeune Mistral n'a-t-il pas senti, plus ou moins obscurément peut-être, avec ce que cela comporte de lueur latente, qu'il fallait que Mireille fût d'abord assommée par un coup de soleil, pour être une victime plus docile ? Il lui reste pourtant assez de force pour se traîner jusque vers les Saintes-Maries et les implorer par une prière qui n'est que ferveur amoureuse, et non pas résignation pieuse, renonciation sereine. Mais les Saintes femmes, du haut de leur béatitude, achèvent la victime par une longue et éloquente relation de leurs derniers jours à Jérusalem, de leurs tribulations maritimes, de l'évangélisation de la Provence, du repentir de Marie-Madeleine, et de la vanité de toutes choses terrestres et particulièrement de l'amour humain. Elle sont trois bienheureuses contre la malheureuse enfant.

Denis Saurat soutenait que le Ruy Blas de Hugo n'est vraiment un chef-d'oeuvre que s'il est joué en comédie. Mais ne pourrait-on pas le dire plus justement de Polyeucte ? Il est certes ridicule de demander aux poètes de ne pas survivre aux héros qu'ils créent et qu'ils font mourir jeunes. On pourrait leur reprocher à plus juste raison d'exalter eux-mêmes des sacrifices qu'ils seraient incapables d'accomplir, même s'ils s'en souciaient. Témoin certaines exaltations guerrières. Mais ceci est une autre histoire.

Heureusement que le génie poétique rédime tout. Hugo, dans Postscriptum de ma vie, ne peut qu'admirer la beauté poétique d'une flagornerie de Virgile pour Auguste. N'estce pas là la prééminence du Verbe créateur ?




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