dimanche 12 juin 2011

Yves Gourgaud : Le montpelliérain

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Bouzigues
Vu par Jérome Rey




Le montpelliérain



Dans un précédent article, j’ai montré que c’est par abus que des félibres du XIXe siècle avaient annexé au « sous-dialecte montpelliérain » les terres non provençales à l’est de Montpellier, en particulier le pays de Sommières-Galargues (patrie de l’abbé Favre), Lunel et Lunel-Viel (patrie du Majoral Abric et du félibre Antoine Roux) ainsi que Lansargues, patrie du Majoral primadié (un des 50 premiers Majoraux, désignés en 1876) Langlade. Pour cela, rien n’a été épargné à nos parladures cévenoles, qui ont subi une déformation systématique de leur écriture pour mieux les assimiler au « modèle languedocien-catalan-montpelliérain » : là où on prononce (i) on a écrit (lh), là où les verbes se terminent en (-ou) on a écrit (-oun), là où (comme en provençal) on dit (canta) pour « chanté », on a écrit (cantat). En bref, tout ce que Mistral avait patiemment établi comme règles d’écriture a été méconnu, défait, trahi. Et vous vous demandez encore où est né l’occitanisme graphique ?
Relisez à ce propos, dans mon précédent article, les délires du « grammairien » Lamouche allant jusqu’à regretter que Mistral soit... provençal et délectez-vous, en supplément, de l’étude du (futur Majoral) de Tourtoulon sur le parler de Lansargues en 1873 (en introduction à un beau poème de Langlade, La Viradona) :
«Le T, le C, le CH finals ne se font pas sentir : « passat, counegut, planet, trigoulet, enfantounet, venguèt, aubourèt, lach, nioch » se prononcent « passà, counegu, plané, trigoulé, enfantouné, venguè, aubourè, la, nio » (p.5)
On aura reconnu sans peine une articulation semblable au provençal mistralien (et au cévenol central) : la graphie mistralienne attendue serait donc sans surprise ni difficulté : « passa, counegu, planet, trigoulet, enfantounet, venguè, aubourè, la, niò », toutes formes attestées dans le TDF (pour ma part je préfère écrire « là » pour distinguer de l’article féminin). Mais voici le commentaire ébouriffant du futur Majoral :
« ...s’il y a une différence... entre le participe passé et l’infinitif de la première conjugaison, par exemple entre « aimà », aimer, et « aimat » (pron. « aimà »), aimé, elle existe plutôt en théorie qu’en réalité. Je crois donc qu’il n’y a pas lieu de supprimer ces consonnes finales dans l’écriture, par la seule raison qu’elles ne se prononcent pas » (page 5)

Vous admirerez avec moi l’emploi du « donc » : « chanté » se prononce « canta »... DONC il faut écrire « cantat » !!! Ce pauvre Mistral écrit bien « canta » dans ce cas précis, mais ce n’est qu’un Provençal, un fada quoi (pardon : un fadat)...
Cependant, Monsieur le Baron de Tourtoulon est un vrai démocrate, puisqu’ il poursuit :
« ... mais je pense, d’un autre côté, qu’on peut admettre comme licence poétique la rime d’un infinitif avec un participe passé, qui, dans ce cas, s’écrira exceptionnellement sans T »
Nous sommes rassurés de savoir qu’avec la permission de Monsieur le Baron, les poètes félibres pourront écrire comme Mistral...
Avec de telles dispositions d’esprit, on ne s’étonnera pas de constater que Tourtoulon fait écrire (-oun) ce qui se prononce (-ou), et (ieu) ce qui se prononce (iu). Mais il est bien obligé de dire que contrairement à Montpellier, on distingue ici le V du B et le J du CH. Il ajoute aussi :
« L’ R se prononce très-nettement et n’a jamais le son empâté qui, dans certaines localités, le fait ressembler au D » (page 6)

Tout ceci nous ramène aux caractéristiques du montpelliérain : jusqu’ici je ne me suis soucié que de lui ôter les terres cévenoles qu’il avait annexées, l’exemple de Lansargues donné ci-dessus se passant de tout autre commentaire.

Mais l’Atlas ALLOr, qui encadre Montpellier sur tous les points cardinaux, permet de prolonger notre réflexion sur la réalité de ces parlers « montpelliérains ». On a vu que, pour les opposer au cévenol, on pouvait retenir cinq critères phonétiques/graphiques. En voici trois :
-A en finale de mot : cantada (cev. Cantado)
B en place de V : lou bi (cev. Lou vi)
[ö] en place de [ü] : la luena (cev. La luno),
mais ces 3 caractéristiques ne peuvent servir à délimiter le montpelliérain parce qu’elles sont bien trop étendues : on sait que V=B est la marque de tout l’ensemble « languedocien » ; le –A final occupe une grande partie du Gard, jusqu’à La Roque sur Cèze tout au nord du département ; quant au UE (« eu » français) pour U, la carte n° 5 (la lune) montre que c’est une prononciation qui va de Manduel près de Nîmes jusqu’à Leucate, tout au sud de l’Aude !
Si l’on veut délimiter le montpelliérain, il ne reste donc plus que deux critères distinctifs :

1) La confusion de J avec CH

Le passage à -D- du R intervocalique

Nous avons vu que dans les textes authentiques, ces deux caractéristiques apparaissent dans l’écriture : elles fonctionnent donc, selon notre propre analyse, comme MIL (marqueurs d’identité linguistique) du parler montpelliérain (cf. Grammaire cévenole, 4 vol., éditions Aigo Vivo 2010)
L’ALLOr va nous permettre, par l’abondance des cartes qui marquent ces prononciations, de délimiter leur emploi : j’ai donc étudié les 7 premières cartes qui illustrent le MIL 1, et 7 autres pour le MIL 2. Si je ne suis pas allé au-delà de la septième carte, c’est tout simplement parce qu’on constate que ces deux phénomènes sont parfaitement réguliers, et qu’ils se produisent systématiquement aux mêmes endroits (mais qui voudrait vérifier l’ensemble des données pourra me demander les numéros des autres cartes de l’ALLOr, que je tiens à la disposition de chacun). Voici les premières conclusions qu’on tirera de l’étude de ces 14 cartes :
- Le MIL 1 (J=CH) occupe un espace géographique plus vaste que le MIL 2 (-R- > -D-)
- Le MIL 1 est aussi présent au Grau-du-Roi, qui est de langue provençale : cela confirme qu’il s’agit d’un phénomène « côtier », cf. plus bas
Nous pouvons donc dessiner assez précisément la carte du montpelliérain, et même une double carte : le montpelliérain « large », celui du MIL 1, avec tous les endroits où on confond J et CH mais où le -R- intervocalique demeure ; le montpelliérain « strict » où les deux MIL sont présents.
Le montpelliérain « large »
Il forme un pentagone adossé à la mer entre Lattes et Agde (tous les noms de localités ici donnés sont ceux des points de l’enquête linguistique ; ils connaissent tous le MIL 1) : le côté sud va d’Agde à Pouzolles, à l’ouest de Pézenas ; puis on remonte vers le nord en passant par Cabrières jusqu’à St-Jean-de-Buèges. On redescend ensuite vers Castries en passant par Les Matelles, puis on rejoint Lattes et la mer.
Partout dans cette zone, on dit : la raCHa (cev. Prov. : rajo), carte 12 ; la ploCHa (cev. La plèjo), carte 30 ; suffixe verbal en –eCHa (cev., prov. –eja), carte 38 ; freCHa (cev. : frejo), carte 56 ; la Chalada (cev. : la jalado), carte 58 ; arCHèla/arCHila (cev. Argelo), carte 91, et Chounc (cev. : jounc), carte 154. Cette dernière carte délimite d’ailleurs parfaitement l’aire montpelliéraine, qui s’oppose aux aires cévenoles et provençales (qui prononcent « dj », puis vers le Rhône « dz ») ainsi qu’à d’autres zones « languedociennes » qui elles disent « j ».

Le montpelliérain « strict »
Certains seront peut-être tentés de l’appeller « montpelliérain pur », ou « central » ou « référentiel » ? C’est dans cette zone restreinte mais cohérente qu’on rencontre le MIL 2, à savoir la disparition du J au profit du CH (articulé « tch »). Voici les limites à minima de cette zone, triangle qui aurait comme extrémités : Agde et Lattes sur la côte, et dans les terres Aniane (en incluant Bouzigues et Paulhan comme autres points d’enquête)
Sans vouloir imposer quoi que ce soit aux « Montpelliérains », il me semble juste de définir leur zone dialectale à partir du MIL 1, et de se servir du MIL 2 pour définir une zone (sous-) dialectale plus typique. Mais si, comme les félibres du XIXe siècle et les occitanistes, on pense que le « critère par excellence » c’est la présence du –A final en place du –O des Cévenols et des Provençaux, alors il faudrait retirer de cette zone « montpelliéraine » les endroits où on prononce en finale atone –O, à savoir Pézenas, Agde et Pouzolles, c’est-à-dire tout l’ouest du domaine... Je crois donc qu’il y a tout intérêt à ne considérer ce –A final que comme une particularité certes intéressante mais sûrement pas fondamentale.

Bouzigues, capitale du « montpelliérain »
Ce n’est qu’une demi-provocation : on sait que les Montpelliérains (et la Campana de Magalouna en fournit de nombreuses preuves) brocardent volontiers les habitants de Bouzigues, comme en Provence on aimait se moquer des Martégaux. Or le parler le plus typique, celui de la zone « stricte », est étalé sur la côte entre Montpellier et Agde, avec au centre... Bouzigues qui est le point 34.33 de l’Atlas Linguistique. On peut donc parodier un peu les occitanistes en déclarant que le parler de Bouzigues, parce qu’il est central, est référentiel, alors que celui de Montpellier est tout à fait marginal, à l’extrémité orientale du domaine et en contact avec les parlers cévenols et provençaux (donc « contaminé », selon la belle expression raciste de l’hitléro-occitano-linguiste Alibert).
Mon ami Serge Goudard, créateur de Marsyas 2 et Bouzigaud de naissance comme de culture, est donc désigné comme Président de la République Bouzigaude qui adoptera comme langue officielle le montpelliérain dans sa version référentielle : le bouzigaud.
Plus sérieusement, j’espère que la présente étude pourra inciter quelque chercheur à établir la liste des écrivains authentiques de cette zone et à en présenter une anthologie : ce sera cent fois plus utile à la renommée de Montpellier que de trafiquer la langue de ce beau pays où l’on peut manger des CEDIÈIDAS même si elles sont TARDIÈIDAS, et des FIGAS à la FIGUIÈIDA, en évitant la saison FRECHA ainsi que les malencontreuses CHALADAS qui vous empêchent de sortir dans les CARIÈIDAS...

Cette petite étude est dédiée, naturellement, à Serge Goudard ; et aussi à Didier Mauras, fidèle défenseur du parler de Lunel et lecteur de MARSYAS 2, qui vient de m’envoyer une longue lettre dans son parler authentique, me confirmant en acte que celui-ci n’est ni « provençal » ni « montpelliérain »



Yves Gourgaud,
St-Martin-de-Valgalgues,
juin 2011

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