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Bouzigues à l'époque
où l'on parlait Bouzigaud
Photo d'avant 1920
*-*-*-*-*-*-*
Montpelliérain et cévenol (suite et fin)
Bouzigues à l'époque
où l'on parlait Bouzigaud
Photo d'avant 1920
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Montpelliérain et cévenol (suite et fin)
Dans un premier article publié ici même (et repris dans le Cahier de Littérature Cévenole CALICE n° 8 aux éditions Aigo Vivo), j’avais mis en doute le classement de plusieurs localités à l’est de Montpellier dans le « sous-dialecte montpelliérain », classement imposé tant par les félibres languedociens du XIXe siècle que par les occitanistes de toujours. Je m’appuyais sur les données irréfutables de l’Atlas Linguistique du Languedoc Oriental (ALLOr), d’ailleurs établi par des universitaires occitanistes. Mais cet atlas si précieux ne donnait aucune enquête sur la côte entre Lattes (qui est à côté de Montpellier) et Le Grau du Roi déjà en domaine provençal. Autrement dit, entre les parlers de type montpelliérain et ceux de type provençal, je n’avais pas d’enquête linguistique côtière à citer à l’appui de ma démonstration de l’existence de parlers de type cévenol.
Or ce « chaînon manquant » existait, et il m’a été fourni par Serge Goudard lui-même : il s’agit de l’oeuvre maîtresse du lexicographe Louis MICHEL (1913-1975) : La langue des pêcheurs du golfe du Lion (Paris 1964, 226 pages). Cet ouvrage est en fait une double étude : dans une première partie, on trouvera une étude lexicale classique (celle qu’on attend à la lecture du titre), mais dans la seconde partie, c’est un véritale atlas linguistique qui nous est offert, avec une série de 90 cartes lexicales mais aussi morphologiques (pluriels, verbes, etc.). La zone côtière étudiée va du Roussillon à la Provence, et à ce propos Michel se montre partisan de la diversité linguistique puisqu’il écrit sans complexe (lui qui, selon Fourié 2009, était membre de l’IEO) : « Les parlers de la côte se rattachent aux 3 LANGUES parlées dans le Sud de la France : le Catalan, le Languedocien, le Provençal » (page 126)
Deux visions du « montpelliérain »
Considérant le « languedocien » comme une langue, il est normal que Michel y distingue des dialectes : le Narbonnais, le Biterrois, l’Agathois et le Montpelliérain. Ce dernier semble occuper un espace qui correspond à celui, traditionnel, qui s’étend entre le milieu du bassin de Thau jusqu’au Rhône : voyez la carte des dialectes, page 126. Et dans les 90 cartes de l’atlas, cettte impression se confirme : avec la carte 2 par exemple (LA FERME), on comprend que partout sur cet espace on dit « la grantcha », ce qui est une prononciation typiquement montpelliéraine (voir dans MARSYAS2 mon article sur le montpelliérain et ses limites). Voyez aussi la carte 32 (LA VACHE) : « la baca », la carte 33 (LE LAIT) : « lou latch » avec le –tch final articulé, etc.
Ceci est la première vision qu’on peut avoir de l’étude de Michel : mais ce n’est qu’une impression fausse, qui est dûe non à l’ignorance de l’auteur, mais au simple fait concret que les cartes de son atlas sont présentées dans un format extrêmement réduit (il en présente deux dans une page de format normal) qui ne permet pas de donner les nuances de phonétique. Les cartes ne présentent donc que des TYPES de prononciation, et non l’ensemble des prononciations d’une zone dialectale. Autrement dit, les formes « grantcha, baca, latch », etc, ne sont que les formes les plus typiques du « dialecte montpelliérain »...
Heureusement, Michel avait pris soin, avant de présenter ses cartes, de caractériser ses dialectes languedociens (pages 128 à 140). Voici ce qu’il écrit du Montpelliérain :
« Ce dialecte est usité dans presque tout l’arrondissement de Montpellier. C’est la langue des localités situées sur le littoral de Bouzigues à Marsillargues. » (page 135)
« Dans le Montpelliérain, on doit distinguer deux zones : celle où le pluriel des mots terminés par –P, -T, -C est –CH [tch], et celle où il est –S (TAP : pluriel TACH / TAS ; LOUP, pluriel LOUCH / LOUS). La première n’est guère représentée sur le littoral que par le village de Bouzigues » (page 136)
Une « zone » représentée par un seul village ? C’est plutôt étrange... Si l’on regarde ce que dit Michel du « dialecte Agathois » tout s’éclaire : en fait, le pluriel en –CH caractérise ce « dialecte d’Agde », avec d’autres traits que connaît Bouzigues. Il est donc plus éclairant, à mon avis, de reprendre le découpage que je donnais dans mon article sur le Montpelliérain : Bouzigues n’est pas un « extra-terrestre » du Montpelliérain mais au contraire le CENTRE de ces parlers si typiques : comme Montpellier, il dit « baca » alors que Agde dit « baco » ; mais comme Agde il dit « lous amich » (on retrouve ce trait jusqu’à Béziers) quand Montpellier dit « lous amis » ; et comme Montpellier et Agde, il dit « faide » pour « faire » et « chamai » pour « jamai », ces deux traits étant de loin les plus caractéristiques de la zone. A mon avis, ce dialecte aurait bien plus de raison de s’appeler « Bouzigaud » que « Montpelliérain ».
Mais reprenons chez Michel la typologie du Montpelliérain : ce dialecte se distinguerait de ses voisins par 7 traits principaux qui sont
-a final
o bref latin donne io : fioia
ct latin donne ch : nioch, fach
r intervocalique donne d : fièida, nièida
n final tombe après e, i, o, ou : ple, bi, carbou
l final se vocalise après a, o, i, e : fiu, miòu, sau, mèu
pronom neutre lou : lou sabe « je le sais »
Ce dernier trait est très étonnant, car une multitude d’auteurs « montpelliérains » écrivent, comme les Cévenols, HOU pour le pronom neutre...
Les traits 1, 2, 3, 5 et 6 sont très familiers aux yeux d’un Cévenol connaissant sa langue : on y dit aussi « fiòia » dans le dialecte cévenol méridional, on dit « facho » plutôt que « faito » ; on dit aussi « ple, vi, carbou, fiu (le fil, qui s’oppose à « fil », le fils), miòu, sau, mèu ». Vu des Cévennes, seul le trait 4 nous semble caractériser fortement le dialecte montpelliérain.
Mais c’est la remarque suivante qui est d’une importance capitale :
« A mesure que l’on s’avance vers l’Est certains traits disparaissent » (page 136)
Autrement dit, Michel comme tous ses prédécesseurs commence par définir un dialecte d’après des critères... qui disparaissent au fur et à mesure ! Voilà d’où vient l’écart constaté entre la première vision du « dialecte montpelliérain » défini par des critères stricts, et la seconde vision qui elle constate que ces critères ne s’appliquent plus à l’est de Montpellier !!
Tout ceci va apparaître dans une carte linguistique qui est d’une clarté aveuglante, celle de la page 137 : elle présente la célèbre « frontière du Vidourle » (c’est son titre), ou plus exactement elle détaille la réalité des parlers entre Montpellier et le Grau du Roi par la description de 7 zones qui, au fur et à mesure qu’on avance vers l’est, vont se dépouiller de leurs caractéristiques « montpelliéraines », ce que j’avais démontré à partir des textes de la région.
De façon spontanée, Michel reconnaît le problème puisque sa zone 1, celle de l’ouest, celle de Montpellier, est appelée « PUR DIALECTE MONTPELLIERAIN » alors que celle de l’est, zone 7, est dénommée « VRAI DIALECTE BAS-RHODANIEN » : on comprend qu’entre les deux se trouvent des parlers qui ne sont pas clairement définis...
Voici les caractéristiques de ces 5 « zones de transition » entre « pur montpelliérain » et « vrai dialecte rhodanien » :
Dès la zone 2, on va abandonner la caractéristique principale du « montpelliérain », à savoir le passage du R intervocalique à D : là où le « pur montpelliérain » dit FAIDE, on retrouve la forme « classique » (cévenole et provençale) FAIRE. Cette zone commence à Pérols et Saint-Aunès, alors que les derniers points du « pur montpelliérain » sont Palavas et Lattes. Voila qui met une frontière très précise (Lattes et Pérols sont à 2 ou 3 km de distance) entre ce que j’appelle le « montpelliérain strict » et le « montpelliérain large » : Lattes et Palavas sont du « montpelliérain strict », alors que Pérols et St-Aunès appartiennent à cette zone plus large où on confond CH et J mais où le R est conservé entre voyelles : voir notre étude sur le Montpelliérain, qu’encore une fois je trouverais plus logique (et plus court !) d’appeler Bouzigaud.
Un mot sur Mauguio, le chef-lieu du canton : Michel l’a inclus dans cette zone 2, mais en ajoutant ce commentaire :
« Noter qu’à Mauguio les occlusives finales sont très faibles, voire absentes » : autre façon de dire que Mauguio fait transition avec la zone 3 où, avec Mudaison, on s’éloigne très vite du « pur montpelliérain », avec quatre changements dont trois majeurs :
1 -C, -P, -T, -CH ne se prononcent plus en fin de mots : on dit CRO et non « croc », BENGU et non « bengut » (avec U articulé « eu »), TA et non « tap », LA et non « lach » (je préconise les graphies (tà) et (là) pour éviter les confusions)
2 maintien des nasales finales : c’est un trait qu’on peut dire provençal et non cévenol (« plen, carboun, fin »)
3 les mots qui se terminent en diphtongue ne marque plus le pluriel : on dit LOUS TRAU, LOUS PEI (« les poissons »)
4 apparition du phonème J [dj] là où on avait CH [tch] : ici on a bien conscience de changer de langue puisque le « montpelliérain » LOU BRUCH DE LA CARIÈIDA FRECHA est devenu LOU BRU DE LA CARIÈIRA FREJA : Mudaison (tout près de Lansargues) doit donc être considéré comme la pointe la plus avancée du dialecte méridional du cévenol.
Dans la zone 4, qui comprend Candillargues et Lansargues, c’est la notion même de « languedocien » qui devient inopérante puisque le phonème V y fait son apparition : le BEIDE du montpelliérain est devenu classiquement VEIRE.
La zone 5, qui est celle de Saint-Nazaire, a cette particularité de refuser le pluriel au féminin : on y dit LOUS OMES mais LAS VACA. Cette zone pourrait bien englober le pays de Lunel-Viel (la carte n’est pas précise sur ce point-là)
Finalement, la zone 6, qui est celle de Lunel, au bord du Vidourle, achève de détruire l’illusion du « montpelliérain » : les mots masculins, à leur tour, refusent le pluriel et on y dit LOUS OME.
Inutile de préciser que de la zone 2 à la 6, toutes les caractéristiques s’accumulent : ce qui a été remarqué en zone 2 le sera dans toutes les suivantes, et ainsi de suite. Le résultat est que Lunel se trouve avoir un parler qu’on peut dire aux antipodes du « pur montpelliérain » : on n’y prononce pratiquement plus de consonnes finales au singulier, pas plus que les –S du pluriel, exactement comme en cévenol central (et en provençal) ; par contre, on ignore totalement à Lunel les confusions entre B et V, entre CH et J, entre R et D qui sont la marque si caractéristique du « pur montpelliérain ».
De Bouzigues à Lunel, que Michel donne comme les deux extrémités de son « dialecte montpelliérain », que de différences fondamentales ! On comprend maintenant que les 90 cartes de l’Atlas de Michel doivent toutes êtres lues avec ces rectificatifs phonétiques de la carte préliminaire que je viens de présenter : par exemple, pour la carte 4 (LIT) qui présente le type « montpelliérain » IÈCH contigu avec le type provençal IÉ, on devra comprendre qu’il existe un type cévenol en IÈ qui ressemble à son jumeau alésien popularisé par Lafare-Alais ; pour la carte 6 (SEAU), on comprendra de même qu’entre FARAT et FERA il doit exister un cévenol FARA ; pour la carte 11 (LIEGE) on comprendra que le type SIUDE ne va pas jusqu’au Grau du Roi comme l’indique la carte, mais qu’il s’arrête à Palavas et Lattes ; pour la carte 16 (FEU, FEUX) on saura qu’à Lunel, contrairement à ce qu’indique la carte, on ne prononce nullement FIOC, FIOS mais bien FIO au singulier comme au pluriel, etc.
Voila ce que nous donne à lire ce grand ouvrage de dialectologie concrète : bien sûr, il convient de savoir interpréter ses données, comme on vient de le voir ; mais ainsi armé, on pourra constater qu’il existe bien, tout de suite à l’est de Montpellier et jusqu’au Vidourle, un ensemble de parlers qui ne se rattachent pas au « montpelliérain » tel que défini par Michel comme avant lui par les Lamouche, Tourtoulon et autres idéologues (plus ou moins conscients), et qu’on ne peut pas davantage rattacher au provençal puisque là-dessus les linguistes sont unanimes : sont déclarés « provençaux » tous les parlers qui connaissent un seul article du pluriel, LI ou LEI.
Cet ensemble de parlers, entre le milieu de l’Etang de Mauguio et le Vidourle, présente des similitudes frappantes avec le dialecte central du Cévenol, alors qu’il s’oppose franchement tant au provençal du Grau du Roi qu’au parler de Montpellier : c’est pourquoi nous n’hésiterons pas à parler à leur sujet de TYPE LINGUISTIQUE CEVENOL et à les rattacher au dialecte méridional de notre langue, qui a déjà tant fourni de textes littéraires : depuis Jean MICHEL en 1657 jusqu’aux Majoraux Langlade et Abric aux siècles derniers en passant par des gloires comme l’abbé FAVRE ou FABRE D’OLIVET, cette région s’impose désormais comme l’une des plus fécondes en auteurs de talent.
Il était important, après avoir délimité le Bouzigaud, d’étudier les variétés cévenoles à l’est de Montpellier : je souhaite que cet article suscite des vocations, soit de linguistes soit d’écrivains, pour faire progresser la culture cévenole sur nos terres méridionales. D’ores et déjà, la seconde édition de l’ Armagna Cevenòu 2011 a inclus un poème d’Abric de Lunel et un autre de Langlade de Lansargue ; elle porte en outre sur sa couverture :
Or ce « chaînon manquant » existait, et il m’a été fourni par Serge Goudard lui-même : il s’agit de l’oeuvre maîtresse du lexicographe Louis MICHEL (1913-1975) : La langue des pêcheurs du golfe du Lion (Paris 1964, 226 pages). Cet ouvrage est en fait une double étude : dans une première partie, on trouvera une étude lexicale classique (celle qu’on attend à la lecture du titre), mais dans la seconde partie, c’est un véritale atlas linguistique qui nous est offert, avec une série de 90 cartes lexicales mais aussi morphologiques (pluriels, verbes, etc.). La zone côtière étudiée va du Roussillon à la Provence, et à ce propos Michel se montre partisan de la diversité linguistique puisqu’il écrit sans complexe (lui qui, selon Fourié 2009, était membre de l’IEO) : « Les parlers de la côte se rattachent aux 3 LANGUES parlées dans le Sud de la France : le Catalan, le Languedocien, le Provençal » (page 126)
Deux visions du « montpelliérain »
Considérant le « languedocien » comme une langue, il est normal que Michel y distingue des dialectes : le Narbonnais, le Biterrois, l’Agathois et le Montpelliérain. Ce dernier semble occuper un espace qui correspond à celui, traditionnel, qui s’étend entre le milieu du bassin de Thau jusqu’au Rhône : voyez la carte des dialectes, page 126. Et dans les 90 cartes de l’atlas, cettte impression se confirme : avec la carte 2 par exemple (LA FERME), on comprend que partout sur cet espace on dit « la grantcha », ce qui est une prononciation typiquement montpelliéraine (voir dans MARSYAS2 mon article sur le montpelliérain et ses limites). Voyez aussi la carte 32 (LA VACHE) : « la baca », la carte 33 (LE LAIT) : « lou latch » avec le –tch final articulé, etc.
Ceci est la première vision qu’on peut avoir de l’étude de Michel : mais ce n’est qu’une impression fausse, qui est dûe non à l’ignorance de l’auteur, mais au simple fait concret que les cartes de son atlas sont présentées dans un format extrêmement réduit (il en présente deux dans une page de format normal) qui ne permet pas de donner les nuances de phonétique. Les cartes ne présentent donc que des TYPES de prononciation, et non l’ensemble des prononciations d’une zone dialectale. Autrement dit, les formes « grantcha, baca, latch », etc, ne sont que les formes les plus typiques du « dialecte montpelliérain »...
Heureusement, Michel avait pris soin, avant de présenter ses cartes, de caractériser ses dialectes languedociens (pages 128 à 140). Voici ce qu’il écrit du Montpelliérain :
« Ce dialecte est usité dans presque tout l’arrondissement de Montpellier. C’est la langue des localités situées sur le littoral de Bouzigues à Marsillargues. » (page 135)
« Dans le Montpelliérain, on doit distinguer deux zones : celle où le pluriel des mots terminés par –P, -T, -C est –CH [tch], et celle où il est –S (TAP : pluriel TACH / TAS ; LOUP, pluriel LOUCH / LOUS). La première n’est guère représentée sur le littoral que par le village de Bouzigues » (page 136)
Une « zone » représentée par un seul village ? C’est plutôt étrange... Si l’on regarde ce que dit Michel du « dialecte Agathois » tout s’éclaire : en fait, le pluriel en –CH caractérise ce « dialecte d’Agde », avec d’autres traits que connaît Bouzigues. Il est donc plus éclairant, à mon avis, de reprendre le découpage que je donnais dans mon article sur le Montpelliérain : Bouzigues n’est pas un « extra-terrestre » du Montpelliérain mais au contraire le CENTRE de ces parlers si typiques : comme Montpellier, il dit « baca » alors que Agde dit « baco » ; mais comme Agde il dit « lous amich » (on retrouve ce trait jusqu’à Béziers) quand Montpellier dit « lous amis » ; et comme Montpellier et Agde, il dit « faide » pour « faire » et « chamai » pour « jamai », ces deux traits étant de loin les plus caractéristiques de la zone. A mon avis, ce dialecte aurait bien plus de raison de s’appeler « Bouzigaud » que « Montpelliérain ».
Mais reprenons chez Michel la typologie du Montpelliérain : ce dialecte se distinguerait de ses voisins par 7 traits principaux qui sont
-a final
o bref latin donne io : fioia
ct latin donne ch : nioch, fach
r intervocalique donne d : fièida, nièida
n final tombe après e, i, o, ou : ple, bi, carbou
l final se vocalise après a, o, i, e : fiu, miòu, sau, mèu
pronom neutre lou : lou sabe « je le sais »
Ce dernier trait est très étonnant, car une multitude d’auteurs « montpelliérains » écrivent, comme les Cévenols, HOU pour le pronom neutre...
Les traits 1, 2, 3, 5 et 6 sont très familiers aux yeux d’un Cévenol connaissant sa langue : on y dit aussi « fiòia » dans le dialecte cévenol méridional, on dit « facho » plutôt que « faito » ; on dit aussi « ple, vi, carbou, fiu (le fil, qui s’oppose à « fil », le fils), miòu, sau, mèu ». Vu des Cévennes, seul le trait 4 nous semble caractériser fortement le dialecte montpelliérain.
Mais c’est la remarque suivante qui est d’une importance capitale :
« A mesure que l’on s’avance vers l’Est certains traits disparaissent » (page 136)
Autrement dit, Michel comme tous ses prédécesseurs commence par définir un dialecte d’après des critères... qui disparaissent au fur et à mesure ! Voilà d’où vient l’écart constaté entre la première vision du « dialecte montpelliérain » défini par des critères stricts, et la seconde vision qui elle constate que ces critères ne s’appliquent plus à l’est de Montpellier !!
Tout ceci va apparaître dans une carte linguistique qui est d’une clarté aveuglante, celle de la page 137 : elle présente la célèbre « frontière du Vidourle » (c’est son titre), ou plus exactement elle détaille la réalité des parlers entre Montpellier et le Grau du Roi par la description de 7 zones qui, au fur et à mesure qu’on avance vers l’est, vont se dépouiller de leurs caractéristiques « montpelliéraines », ce que j’avais démontré à partir des textes de la région.
De façon spontanée, Michel reconnaît le problème puisque sa zone 1, celle de l’ouest, celle de Montpellier, est appelée « PUR DIALECTE MONTPELLIERAIN » alors que celle de l’est, zone 7, est dénommée « VRAI DIALECTE BAS-RHODANIEN » : on comprend qu’entre les deux se trouvent des parlers qui ne sont pas clairement définis...
Voici les caractéristiques de ces 5 « zones de transition » entre « pur montpelliérain » et « vrai dialecte rhodanien » :
Dès la zone 2, on va abandonner la caractéristique principale du « montpelliérain », à savoir le passage du R intervocalique à D : là où le « pur montpelliérain » dit FAIDE, on retrouve la forme « classique » (cévenole et provençale) FAIRE. Cette zone commence à Pérols et Saint-Aunès, alors que les derniers points du « pur montpelliérain » sont Palavas et Lattes. Voila qui met une frontière très précise (Lattes et Pérols sont à 2 ou 3 km de distance) entre ce que j’appelle le « montpelliérain strict » et le « montpelliérain large » : Lattes et Palavas sont du « montpelliérain strict », alors que Pérols et St-Aunès appartiennent à cette zone plus large où on confond CH et J mais où le R est conservé entre voyelles : voir notre étude sur le Montpelliérain, qu’encore une fois je trouverais plus logique (et plus court !) d’appeler Bouzigaud.
Un mot sur Mauguio, le chef-lieu du canton : Michel l’a inclus dans cette zone 2, mais en ajoutant ce commentaire :
« Noter qu’à Mauguio les occlusives finales sont très faibles, voire absentes » : autre façon de dire que Mauguio fait transition avec la zone 3 où, avec Mudaison, on s’éloigne très vite du « pur montpelliérain », avec quatre changements dont trois majeurs :
1 -C, -P, -T, -CH ne se prononcent plus en fin de mots : on dit CRO et non « croc », BENGU et non « bengut » (avec U articulé « eu »), TA et non « tap », LA et non « lach » (je préconise les graphies (tà) et (là) pour éviter les confusions)
2 maintien des nasales finales : c’est un trait qu’on peut dire provençal et non cévenol (« plen, carboun, fin »)
3 les mots qui se terminent en diphtongue ne marque plus le pluriel : on dit LOUS TRAU, LOUS PEI (« les poissons »)
4 apparition du phonème J [dj] là où on avait CH [tch] : ici on a bien conscience de changer de langue puisque le « montpelliérain » LOU BRUCH DE LA CARIÈIDA FRECHA est devenu LOU BRU DE LA CARIÈIRA FREJA : Mudaison (tout près de Lansargues) doit donc être considéré comme la pointe la plus avancée du dialecte méridional du cévenol.
Dans la zone 4, qui comprend Candillargues et Lansargues, c’est la notion même de « languedocien » qui devient inopérante puisque le phonème V y fait son apparition : le BEIDE du montpelliérain est devenu classiquement VEIRE.
La zone 5, qui est celle de Saint-Nazaire, a cette particularité de refuser le pluriel au féminin : on y dit LOUS OMES mais LAS VACA. Cette zone pourrait bien englober le pays de Lunel-Viel (la carte n’est pas précise sur ce point-là)
Finalement, la zone 6, qui est celle de Lunel, au bord du Vidourle, achève de détruire l’illusion du « montpelliérain » : les mots masculins, à leur tour, refusent le pluriel et on y dit LOUS OME.
Inutile de préciser que de la zone 2 à la 6, toutes les caractéristiques s’accumulent : ce qui a été remarqué en zone 2 le sera dans toutes les suivantes, et ainsi de suite. Le résultat est que Lunel se trouve avoir un parler qu’on peut dire aux antipodes du « pur montpelliérain » : on n’y prononce pratiquement plus de consonnes finales au singulier, pas plus que les –S du pluriel, exactement comme en cévenol central (et en provençal) ; par contre, on ignore totalement à Lunel les confusions entre B et V, entre CH et J, entre R et D qui sont la marque si caractéristique du « pur montpelliérain ».
De Bouzigues à Lunel, que Michel donne comme les deux extrémités de son « dialecte montpelliérain », que de différences fondamentales ! On comprend maintenant que les 90 cartes de l’Atlas de Michel doivent toutes êtres lues avec ces rectificatifs phonétiques de la carte préliminaire que je viens de présenter : par exemple, pour la carte 4 (LIT) qui présente le type « montpelliérain » IÈCH contigu avec le type provençal IÉ, on devra comprendre qu’il existe un type cévenol en IÈ qui ressemble à son jumeau alésien popularisé par Lafare-Alais ; pour la carte 6 (SEAU), on comprendra de même qu’entre FARAT et FERA il doit exister un cévenol FARA ; pour la carte 11 (LIEGE) on comprendra que le type SIUDE ne va pas jusqu’au Grau du Roi comme l’indique la carte, mais qu’il s’arrête à Palavas et Lattes ; pour la carte 16 (FEU, FEUX) on saura qu’à Lunel, contrairement à ce qu’indique la carte, on ne prononce nullement FIOC, FIOS mais bien FIO au singulier comme au pluriel, etc.
Voila ce que nous donne à lire ce grand ouvrage de dialectologie concrète : bien sûr, il convient de savoir interpréter ses données, comme on vient de le voir ; mais ainsi armé, on pourra constater qu’il existe bien, tout de suite à l’est de Montpellier et jusqu’au Vidourle, un ensemble de parlers qui ne se rattachent pas au « montpelliérain » tel que défini par Michel comme avant lui par les Lamouche, Tourtoulon et autres idéologues (plus ou moins conscients), et qu’on ne peut pas davantage rattacher au provençal puisque là-dessus les linguistes sont unanimes : sont déclarés « provençaux » tous les parlers qui connaissent un seul article du pluriel, LI ou LEI.
Cet ensemble de parlers, entre le milieu de l’Etang de Mauguio et le Vidourle, présente des similitudes frappantes avec le dialecte central du Cévenol, alors qu’il s’oppose franchement tant au provençal du Grau du Roi qu’au parler de Montpellier : c’est pourquoi nous n’hésiterons pas à parler à leur sujet de TYPE LINGUISTIQUE CEVENOL et à les rattacher au dialecte méridional de notre langue, qui a déjà tant fourni de textes littéraires : depuis Jean MICHEL en 1657 jusqu’aux Majoraux Langlade et Abric aux siècles derniers en passant par des gloires comme l’abbé FAVRE ou FABRE D’OLIVET, cette région s’impose désormais comme l’une des plus fécondes en auteurs de talent.
Il était important, après avoir délimité le Bouzigaud, d’étudier les variétés cévenoles à l’est de Montpellier : je souhaite que cet article suscite des vocations, soit de linguistes soit d’écrivains, pour faire progresser la culture cévenole sur nos terres méridionales. D’ores et déjà, la seconde édition de l’ Armagna Cevenòu 2011 a inclus un poème d’Abric de Lunel et un autre de Langlade de Lansargue ; elle porte en outre sur sa couverture :
Per fa soulas
au pople cevenòu
entre Nant, Lengogno,
Aubenas e Lansargue
E qu’ansin siègue !
au pople cevenòu
entre Nant, Lengogno,
Aubenas e Lansargue
E qu’ansin siègue !
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