mardi 24 avril 2012

Colette : Extraits de « Provence » - 1941

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« Provence »



Sur idée
de Catherine Lacroix



«..... Hier ,tous les pêchers ayant déjà passé fleur, la vallée du Rhône brilla, sous la pluie, du vert doré qui dure quinze jours, le temps que s'étire et s'épaississe la feuille des arbres fruitiers.
Aujourd'hui c'est la Méditerranée, c'est le Mistral qui tarit la pluie mais dépouille les glycines et les rosiers, couche les tulipes, referme les villas entrouvertes pour Pâques et les petits magasins autochtones qui craignent la chaleur en été, le froid en hiver, les courants d'air en toute saison. (........)
« La région que j'ai atteinte et son rivage sont puissants à isoler l'« estrangier » qui s'éprend d'eux, de leurs saisons froides et chaudes, de leur population familière et distante, pleine d'un quant- à- soi local que nous ne comprendrions pas si nous ne demandions, au climat, des lumières sur les hommes qu'il modèle.
La Provence ignore le printemps réfléchi du Nord et du Centre, le renouveau qui couvre la terre d'une avance égale. Ici de décembre à mars, l'hiver lui-même étincelle de facettes printanières.
Mais il arrive aussi qu'un caprice d'orientation morose, de sécheresse souterraine, refuse au mois d'avril toutes les grâces végétales. Sur ma route, le printemps s'est ouvert vingt fois, vingt fois refermé entre Avignon et St Raphaël. En Avignon, les platanes déjà feuillus murmuraient. Aux environs d'Aix, ils dormaient encore, tout nus.




Cavalaire s'épanouit, mais St Tropez se réserve. Si la citadelle mire, son versant est dans une mer hivernale, du moins telles anses du golfe ont chacune leur printemps égoïste et délimité, pourvu de sa rose précoce, de son petit artichaut violacé, de son jeune oignon et de son rossignol. (......)
Il est étrange que nul méridional ne se soit jamais accoutumé au Mistral. Chaque fois qu'il souffle, tout le pays parle de lui. L'épicerie retentit de ses exploits, recueille ses victimes. Une belle brune, coiffée de serpents déchaînés, entre avec la bourrasque, se tient d'une main le coeur, de l'autre le front:
« Je veux me battre! Me battre contre le vent! crie-t-elle. Il me fâche! Il m'éclate la tête! Il faut que je me venge de ce vent » .......... »


Colette
(1941)




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