dimanche 24 novembre 2013

Ive Gougaud : LE FELIBRIGE PERSISTE…





LE FELIBRIGE PERSISTE…




    … dans son refus absolu d’admettre une autre position linguistique que celle qu’il partage avec les occitanistes : il n’existe selon lui qu’une seule langue d’oc. Pourquoi pas ? Il suffirait de nous convaincre que ce « camin de verita » est le « soulet » en matière d’analyse linguistique et socio-linguistique.

UNE SEULE LANGUE D’OC, DE SUISSE EN CATALOGNE !!
    Le dernier numéro de LOU FELIBRIGE s’emploie très largement à faire savoir cette « vérité » avec deux longs articles. Commençons par le plus distrayant, le plus folklorique : de la page 18 à la page 22, le « sòci dóu Felibrige » Henri Niggeler nous parle de la Suisse romande, avec les affirmations ébouriffantes que voici (l’article est en français) :
    Ce domaine linguistique /celui de la « langue d’oc », évoquée par Ramuz/ comprenant la Provence et tout le bassin rhodanien, dès sa source en Haut-Valais jusqu’à la Méditerranée. (p.18)
    Tiens ! On savait que Mistral, dans ses rêves très peu linguistiques, avait annexé les pays francoprovençaux à son Empèri dóu Soulèu (ce qui nous vaut des citations d’auteurs de Saint-Etienne ou Grenoble dans son Trésor du Félibrige), mais le pays suisse romanche, ça il ne l’avait pas osé : hé bien, voilà qui est fait, dans la revue officielle du Félibrige, en 2013. Comme quoi il n’est jamais trop tard pour sortir des inepties.
    Mais vous n’avez encore rien lu : voilà la suite des divagations du Sòci :
    C’est la langue /remarquez le singulier/ des Pays du Rhône. Cette langue romane franco-provençale, liée à la langue d’oc…
    On nage dans le plus épais des mystères : quelle est donc cette mystérieuse « langue des pays du Rhône » ? On vient de nous affirmer que c’est la « langue d’oc », et voici qu’on l’appelle « langue romane franco-provençale », langue qui serait distincte de ladite « langue d’oc ». Si quelqu’un comprend ce charabia, qu’il m’écrive en urgence, d’autant plus que la phrase n’est pas terminée :
    … représentait un chapelet de dialectes :…
    Bon, voilà un imparfait qui complique la situation : on parlerait donc d’une ancienne langue ? d’une langue disparue ? pourquoi pas, mais à quoi pouvait-elle bien ressembler, alors ? Accrochez vos ceintures, voici la description « scientifique » (comme dirait le spécialiste J.C. Bouvier, voir plus bas) de cette « langue d’oc/ langue des pays du Rhône / langue romane francoprovençale », avec la liste de ses dialectes :
    …un chapelet de dialectes : catalan, gascon, limousin, auvergnat, provençal, dauphinois, lyonnais, savoyard, genevois, vaudois, fribourgeois, valaisan, romanche, etc.
    Donc la « langue d’oc » s’étendait de la Catalogne aux montagnes romanches en Suisse, car on glissait insensiblement d’un dialecte à l’autre… mais à travers ces variétés, il y avait un fond commun, une unité certaine, bien que souvent inapparente et parfois difficile à retrouver. (page 18)
    Mistral, dans son rêve de « grande Provence » avait incorporé la langue catalane et la langue francoprovençale ; aujourd’hui le Félibrige nous annonce une grande nouvelle : la langue romanche fait elle aussi partie de la famille « romane francoprovençale » ! Même si ce n’est qu’un Sòci qui délire, il se trouve que ce délire est publié dans la revue officielle du Félibrige, et qu’il reflète donc la position linguistique des « héritiers de Mistral »… héritiers, cela va sans dire, des rêves, fantasmes et contre-vérités linguistiques du Maître de Maillane qui était (faut-il donc toujours le rappeler à ses « héritiers » ?) un immense poète mais un linguiste à visto de nas…

DE L’IDENTITÉ PROVENÇALE
    Le second article, bien plus étendu (de la page 4 à la page 11) est aussi le plus intéressant pour nous, car il aborde un sujet capital : celui de « l’identité provençale ». Article écrit en français mais traduit ici en provençal (sous-dialecte rhodanien, selon la terminologie « scientifique » du Félibrige) et dont le titre est déjà sujet à caution : « L’amiro DÓU lenguisto sus l’identita prouvençalo », car ce « point de vue DU linguiste » est présenté comme celui de TOUS les linguistes, alors qu’un peu de décence (ou de prudence) aurait conduit à titrer « L’amiro D’UN lenguisto… ». Passons.
    Son auteur n’est pas n’importe qui : le Professeur Jean-Claude Bouvier est un spécialiste incontesté des parlers provençaux, étant entre autres le maître d’œuvre de l’Atlas Linguistique de la Provence. Son article est d’ailleurs illustré de 10 cartes linguistiques, certaines rendues illisibles par leur taille réduite (par exemple au bas de la page 5). Bien sûr, on voit déjà apparaître le mot « occitan » sur le titre de la seconde carte, dès la première page de l’article, mais commençons par le commencement, et donnons tout de suite notre propre point de vue sur l’ensemble de l’article, qui s’articule en 4 grandes parties : dans les 3 premières, tout m’apparaît juste dans la formulation car l’auteur parle de son domaine, à savoir les parlers de Provence. Et puis, dans la dernière partie, tout bascule car le dialectologue abandonne sa casquette pour celle de l’occitaniste qui va essayer de transformer une étude linguistique en démonstration idéologique, avec les belles contradictions que nous allons relever dans son propre discours.
    Je me propose de suivre le déroulement de cette étude partie par partie, en donnant (en provençal, langue de la traduction qui nous est donnée) les titres choisis par l’auteur :
1. Lou councèt d’identita
    Ce concepte est, dit l’auteur, dangereux à manipuler, mais pourtant nécessaire : « basto de lou maneja emé prudènci, valènt-à-dire em’un pessu de rigour scientifico » (p.4). Nous en serons bien d’accord, mais nous verrons que l’auteur, plus loin, va se libérer allègrement de ce devoir de rigueur scientifique…
    Suivent des considérations intéressantes et justes sur ce qu’est un ensemble linguistique comme la Provence : toute langue est faite de différences et de ressemblances, c’est connu depuis longtemps, mais l’auteur affirme ici que « la founcioun diferenciativo passo la founcioun coumunicativo » (p.5), autrement dit que le désir de se différencier est plus fort que celui de communiquer.
2. Uno identita prouvençalo ?
    D’entrée de jeu, l’auteur affirme qu’elle est réelle et observable : « …aquesto identita, o pulèu aquesto quisto d’identita, es uno realita que se pòu óusserva encò de noumbrous Prouvençau ». On remarquera que là se trouve précisément l’origine indiscutable du mouvement qui en Provence a donné naissance à de grands regroupements comme l’Unioun Prouvençalo ou le Collectif Prouvènço…
    L’auteur constate, ici encore, que la dialectique ressemblance/différence est à l’œuvre mais il conclut que cette situation présente « tóuti li risque de counfrountacioun que poudèn imagina, mai tambèn la necessita de viéure ensèn e lis escasènço vertadiero d’aprendre la toulerànci. » (page 6) : qui ne souscrirait pas à ce jugement, à la fois nuancé et fidèle à la réalité culturelle provençale ?
3. L’amiro dóu dialeitoulogue
    L’auteur entre maintenant dans le « noyau dur » de sa communication : que dire de l’identité provençale du point de vue de la langue ? Une fois de plus, unité et variété sont à l’œuvre, on trouve évidemment des nuances et oppositions de tous ordres d’un coin à l’autre de la carte des pays provençaux, et il est évident (l’Atlas le montre avec précision) que la langue n’est pas la même entre Nice, Marseille, Avignon et Gap. Mais l’auteur affirme, point de vue important, que « ço que mostron forço bèn li carto de l’Atlas, es la relativita de la divisioun en varieta lenguistico. » (page 7). Autrement dit, en Provence, ce concept d’ « identité » est valide : l’auteur oublie simplement de nous dire que cette identité est réelle parce que LES PROVENÇAUX SAVENT QU’ILS SONT PROVENÇAUX ! Et comment articuler cette affirmation avec celle, contradictoire, de la première partie : « la founcioun diferenciativo passo la founcioun coumunicativo » ?
    A cette question, que l’auteur se garde bien d’aborder, nous apportons la réponse suivante : en Provence la « fonction communicative » est plus forte que la « différenciative » pour la bonne et simple raison que les Provençaux ont en partage  UNE LANGUE, qu’ils en ont conscience et donc qu’ils privilégient la communication (l’unité) au détriment de la différenciation : dans un ensemble linguistique solide, les variétés existent mais tendent à se mélanger. Par contre, dès lors que le sentiment d’unité linguistique n’existe plus (et c’est le cas de la fameuse chimère occitane), alors ce sont les forces de différenciation (donc d’opposition) qui jouent à plein : les Provençaux utilisent une langue qu’ils appellent de son nom historique : « langue provençale » ou simplement « provençal », et ils l’opposent naturellement à d’autres variétés linguistiques qui, même voisines, sont ressenties comme DIFFERENTES, donc étrangères à leur IDENTITÉ PROVENÇALE.
    L’auteur, d’ailleurs, ne semble pas dire autre chose quand il termine cette partie par la phrase suivante : « Acò basto pèr nous faire touca dóu det l’impourtanço e l’ancianeta dóu brassage lenguisti en Prouvènço, e ansin la couërènci, l’oumougeneïta, l’unita, tras la grando diversita di parla prouvençau » : voilà une phrase que, j’en suis sûr, Henri Féraud et Jean-Pierre Richard seraient prêts à signer des deux mains, car elle explique clairement et justifie pleinement leur engagement en faveur de la langue provençale.
4. Lou prouvençau e la lengo d’o
    C’est maintenant qu’il faut dire adieu au dialectologue et bonjour à l’idéologue occitaniste. L’auteur commence par relever l’ambiguïté du terme « provençal » chez Mistral ; il, prétend même que pour Mistral et le Félibrige cette ambiguïté a été voulue (il parle d’un « jeu » sur le terme, et je lui laisse la responsabilité de ce jugement, qui ne me semble pas très flatteur).
    On passe ensuite au fameux Tresor dóu Felibrige, ou l’ambiguïté du terme éclate dans le titre : « Dictionnaire Provençal-Français », donc « provençal = langue » et dans l’article « dialèite » où le mot « provençal » désigne en effet un dialecte. Ce qui devrait suffire à prouver, aux yeux de tout observateur un peu sensé, que Mistral n’est pas un linguiste ! Mais l’auteur n’en a cure : il s’empresse de déclarer, lui le « scientifique », que ledit article « dialèite » mostro que /Mistral/ a uno vesioun proun claro e justo de la naturo e de la realita de la lengo d’o (page 9). En voulez-vous la preuve : Mistral partage sa « langue d’oc » en SEPT dialectes ! Parce que les occitanistes nous ont habitués à voir l’espace « occitan » partagé en 6 variétés dialectales (limousin, auvergnat, « dauphinois », gascon, languedocien et provençal), on est en droit de demander à Mistral (et donc à JC Bouvier et au Félibrige actuel) ce qui caractérise, d’un point de vue linguistique, ce septième dialecte, baptisé « aquitain » ? Allons chercher la « verita » dans le TDF, à l’article « aquitan » : on y trouvera cette magnifique et combien éclairante explication : « Lengo aquitano, idiome gascon et limousin ».
    Donc l’ « aquitain »  de Mistral est un dialecte dans l’article « dialèite » et une langue dans l’article « aquitan » !! Et cette « langue » se compose de deux « dialectes » de la « langue d’oc », le gascon et le limousin !!!
    On voit que MM les catau du Félibrige et les « spécialistes » comme JC Bouvier vont avoir fort à faire pour qu’on avale une telle bouillie linguistique : il ne suffira pas d’affirmer, comme l’auteur de l’article, que « aquésti paraulo de Mistral agradon mai-que-mai au lenguisto de vuei ». Car ce n’est sûrement pas au linguiste que Mistral peut servir de caution, mais bien à l’idéologue occitaniste qui est en train de préparer le terrain à une manipulation que nous allons vous dévoiler, en suivant toujours le cours du « raisonnement scientifique » de l’article.
    L’auteur, nous l’avons vu, avait relevé lui-même les contradictions (selon lui VOLONTAIRES) de l’emploi du terme « provençal », tour à tour « langue » et « dialecte » chez Mistral. Et voilà qu’il enchaîne avec cette extraordinaire phrase :
    Es clar qu’aqueste terme de prouvençau dèu èstre emplega pèr la Prouvènço soulo…
    C’est « clair » pour qui, M. Bouvier ? Je vous ramène, vous et vos admirateurs-suiveurs du Félibrige, au titre même du TDF, « dictionnaire PROVENÇAL-français » et je n’y trouve aucunement cette « clarté » que vous affirmez ici CONTRE MISTRAL ET SON ŒUVRE LEXICALE. Bien sûr je serai le dernier à vous reprocher d’interpréter Mistral selon vos propres vues et vos propres « amiro », puisque c’est ce que nous, les mistraliens pluralistes, faisons sans problème. Mais nous, nous ne prétendons pas détenir le seul vrai morceau de la vraie Croix, et nous n’avons pas déifié Mistral au point de vouloir faire passer tous ses avis et positions pour des paroles d’évangile ! Si vous voulez modifier la pensée et l’expression de Mistral, libre à vous de le faire mais AVEC CLARTÉ et surtout en daignant nous EXPLIQUER en quoi la position de Mistral vous semble dépassée. C’est ce que nous faisons sans cesse, et c’est ce que le Félibrige, cheval rétif, se refuse à faire.
    Mais nous n’en avons pas fini avec la phrase qui marque le basculement définitif de l’article vers l’occitanisme :
    … counsidera ansin, lou prouvençau es uno partido –diren un dialèite en lengage scientifi- d’un ensèn mai larg que ié dison lengo d’o o óucitan (page 9)
    Où est la démonstration ? On l’attend encore ! Mistral disait alternativement : « le provençal est une langue «  et « le provençal est un dialecte » : M. Bouvier et le Félibrige ont écarté sans explication la première affirmation, mais la seconde est devenue la Loi, la Bible où tout « es clar ». Le provençal est un dialecte occitan, point final, la discussion est terminée avant même d’avoir commencé !
    Voilà très exactement l’endroit où le scientifique (dialectologue) cède la place à l’idéologue : les deux phrases suivantes se suivent dans l’article.
    1) Coume cade lengage que fai coumunica li gènt entre éli dins uno coumunauta lenguistico, lou prouvençau a un founciounamen lenguisti couërènt e autounome e dounc es carga d’identita, coume l’avèn vist.
    Cette phrase, qui définit parfaitement la LANGUE PROVENÇALE et son fonctionnement AUTONOME dans sa COMMUNAUTÉ LINGUISTIQUE (je reprends les termes mêmes de l’auteur) est signée : « Bouvier, linguiste dialectologue ». Mais la suivante :
    2) Mai pòu pas èstre defini, analisa e viscu en deforo de soun apartenènci à la lengo d’o, de tau biais qu’aquesto identita prouvençalo, dóu poun de visto lenguisti, es uno partido d’uno identita mai largo, dins la qunto es la realita touto e l’istòri de la lengo d’o que se trobon espremido. (page 8)
est clairement signée « Bouvier, occitaniste conscient qui n’a que faire des preuves ». Tout le catéchisme occitaniste se déroule ici dans cette impeccable démonstration :
    - Le provençal fonctionne comme une langue autonome
    - mais le provençal N’EST PAS une langue (pourquoi ? où sont les preuves ?)
    - DONC (admirez le raisonnement !) le provençal est un dialecte occitan
    - ET DONC l’identité provençale n’existe pas, NE PEUT PAS EXISTER (« pòu pas èstre defini, analisa e viscu ») en dehors d’une « identité occitane » qui bien sûr n’a jamais existé et, n’en déplaise à MM Bouvier et aux Catau félibréens, n’a aucune chance d’exister.
    En bon ouvrier de la cause occitane, l’auteur va maintenant essayer de prouver ce qu’il affirme, à savoir qu’ « entre aquésti dialèite i’a de noumbrous tra lenguisti o geo-lenguisti, que dison precisamen la couërènci, l’unita d’evoulucioun e d’estruturo d’aquesto lengo » (page 10). Enfin, nous allons donc savoir ce qui rend cette « langue occitane » si évidente aux yeux du « scientifique » comme des Catau du Félibrige. Je demande au lecteur de bien retenir la présentation de la description qui va suivre : l’auteur nous dit qu’il va montrer PRECISEMENT (car c’est un « scientifique, ne l’oublions pas) l’UNITÉ de cette langue occitane. Suivent 5 traits que l’auteur a, on le suppose, soigneusement choisis pour établir sa démonstration unitaire : suivons-le pas à pas.
    1) « counservacioun de la ditongo AU dóu latin ». Notre professeur ajoute ce commentaire : « la carto /page 7/ mostro qu’un pichot courredou au nord soulamen, que fai la transicioun emé li lengo vesino (lengo d’oil e franco-prouvençau) escapo à-n-aquelo counservacioun » (page 10)
    Un « petit corridor » dites-vous ? Allons voir cette carte… et constatons que ce « corridor », qui est effectivement bien étroit entre provençal et francoprovençal, est tout le contraire du côté ouest de l’ « Occitanie » : quasi-totalité du Puy-de-Dôme (cœur du « dialecte » auvergnat), totalité de la Creuse et de la Haute-Vienne (cœur du « dialecte » limousin), totalité de la Charente « occitane » et moitié de la Dordogne.
    « Pichot courredou », M. Bouvier ? Qui ment, vous ou votre carte ?
    2) « plurau nouminau en –s » : extraordinaire démonstration de l’unité occitane, surtout vu de Provence, sachant que tout le système graphique mistralien repose sur la non notation de ces –s fantomatiques dans la langue du prix Nobel de Littérature !! Il est vrai que pour le Professeur Bouvier, les provençaux ont abandonné leurs S « souto l’enfluènci dóu francés » (page 10). L’occitaniste d’Action Française Ismael Girard nous avait déjà expliqué que la langue de Mistral était un « macaroni toscan » : voilà que le Félibrige nous explique à son tour que la langue des Provençaux est un tian francimand. Quant aux Limousins et Auvergnats, eux non plus ne marquent plus leur pluriel en –S : ils ont « vira vers un autre sistèmo », ainsi que le reconnaît l’auteur. Donc si on résume, la langue « occitane » est merveilleusement unie autour d’un pluriel en –S qui n’existe ni en provençal ni en auvergnat ni en limousin !!!
    3) ce 3e point est si simple à énoncer que je laisse ce plaisir à l’auteur : « uno tendènci pamens à la casudo de l’-S desinenciau, pèr voucalisacioun en –i, dins li determinant plurau » (page 10), avec renvoi à une carte qu’on supposera être celle de la page 8, où elle apparaît sans aucune légende.
    Pour être clair : l’article LES au féminin apparaît dans CINQ zones différentes : deux zones (séparées par le couloir rhodanien) où l’on dit LAS ; une zone au nord où l’on dit LA (avec perte totale du –S) ; la zone provençale qui dit LI ou LEI ; une zone centrale, enfin, où l’on dit soit LAI soit LEI soit LAH.
    Tout cela, ne l’oubliez pas, vient à l’appui de l’ « unité », de la « cohérence » de la langue « occitane ». Et il s’agit d’une démonstration « précise », selon son auteur. CQFD.
    4) « d’iero leissicalo souvènt uniformo sus l’ensèn dóu territòri ». Voilà qui est intéressant et pourrait nous convaincre, même si les deux mots choisis sont loin d’être parmi les plus courants dans notre langue au XXIe siècle : il s’agit des mots « son » (produit des céréales) et « jument ».
    Pour le premier, l’auteur affirme que le type « bren » « a resta dins la maje partido de la lengo d’o, e meme dins lou Peitau que dins lou tèms èro de lengo d’o » (page 10). Vérifions sur la carte page 9 : le « bren » monte en effet très haut, jusqu’à Nantes (est-ce bien étonnant s’il est vrai que, dixit l’auteur, le mot « nous vèn dóu galés » ? Mais le « bren » est inconnu au nord du Puy-de-Dôme, de la Creuse et de la Haute-Vienne (région que l’auteur, décidemment, aime bien « oublier »), alors qu’il est bien présent en pays de langue francoprovençale… et qu’une grosse partie de la Provence connaît un autre type « rassé » (attesté par le Dictionnaire français-provençal de Coupier et bien sûr par Mistral). Merveilleuse « unité » de la « langue d’oc », qui déborde largement sur les langues française et francoprovençale, en laissant de côté le nord et l’est de la belle « Occitanie »…
    Voyons la seconde carte (aussi page 9), « jument », qui a eu droit au commentaire suivant de l’auteur : pour nous convaincre que la « cavale » est typiquement « occitane », on la donne comme « especificita leissicalo… à respèt dis àutri lengo roumano ». D’entrée de jeu, je me demande si par hasard M. le Professeur ne se moquerait pas carrément de nous : j’ouvre mon dictionnaire Larousse et je constate (ce que je savais par l’usage) que le mot « cavale » est tout à fait français, avec comme explication un seul mot : « jument ». Comme « spécificité lexicale », voici un exemple on ne peut mieux choisi ! Mais en plus, la carte dit tout le contraire de l’auteur : elle ne court PAS sur toute l’Occitanie, la cavale de M. le Professeur. Une fois de plus, le nord du territoire a été « oublié » : Dordogne, Corrèze, Creuse, Puy-de-Dôme, autant de « détails de l’histoire » qu’il vaut mieux ne pas voir puisqu’ils osent employer le mot « jument ». La « cavale », pour sa part, est tellement spécifique aux occitans qu’elle monte au galop bien au nord de Lyon, jusqu’en Suisse, englobant tout l’Ain et toute l’Isère… Sans compter qu’une grosse partie du Massif Central « occitan » (Haute-Loire et Cantal en entier, moitié du Puy-de-Dôme et de la Lozère) ne connaît pas la « cavale » de M. Bouvier, mais l’ « ègo ».
    Il y a pire encore (si possible) : j’ai eu la curiosité de vérifier sur l’Atlas du Languedoc Oriental (carte 501) la présence de cette fabuleuse « cavale » : elle est bien en effet présente presque partout… mais elle coexiste avec le type « ègo », et donc la carte donnée par M. Bouvier est partielle pour ne pas dire partiale : l’honnêteté eût voulu qu’on signale cette extension de l’ « ègo » à quelques localités du Gard, de la Lozère et de l’Aveyron (où l’on a même une localité qui dit « ègo » et jamais « cavalo »)… m    ais cette honnêteté, on le comprend, eût quelque peu mis à mal la démonstration de l’ « unité lexicale » de la « langue occitane », à vrai dire déjà réduite à néant par la simple étude un peu attentive des deux malheureux exemples que l’auteur a cru bon de nous donner !
    5) Et voici, en guise de bouquet final, le dernier exemple de l’UNITÉ de la langue « occitane ». Vous avez bien enregistré ce mot d’UNITÉ, que les exemples donnés sont censés démontrer ? Alors vous êtes prêts pour le spectacle, que je vous donne en version originale sans sous-titres :
    « uno raro entre nord e miejour que travesso l’ensèn dóu territòri de la lengo d’o e que desseparo li parla dóu miejour di parla dóu nord, aquésti aguènt quasimen evouluna dóu meme biais… »
    On comprend bien que l’auteur s’émerveille ici sur le fait que les parlers « nord-occitans » aient évolué de la même façon (ce qui est faux : le « vivaro-alpin connaît une chute des intervocaliques qui en fait un groupe bien à part), mais quand même : donner pour preuve d’ « unité » la séparation de l’ « Occitanie » en nord-occitan et sud-occitan, il fallait y penser ! Mais le Félibrige, dès qu’on parle linguistique, ne recule devant aucun sacrifice… surtout lorsqu’il s’agit de sacrifier la vérité et l’évidence.
    Reprenons les cinq preuves de la merveilleuse « unité de la langue occitane » : il n’y en a AUCUNE qui puisse, même avec de la bonne volonté, emporter l’adhésion, bien au contraire : c’est le caractère totalement factice de cette « Occitanie » qui apparaît dans les cartes linguistiques que M. Bouvier et le Félibrige ont eu la naïveté (ou la morgue ?) de nous fournir avec cet article, sans parler de la mauvaise foi évidente des commentaires qui les accompagnent, car personne ne me fera croire qu’un linguiste aussi compétent que M. Bouvier ait pu se tromper dans ses commentaires : non, il est tout à fait conscient et il trompe ses lecteurs, ce que je lui pardonne difficilement comme linguiste. Il est vrai que, comme je l’ai déjà dit, l’homme de terrain a laissé la place ici à l’idéologue, à l’occitaniste pour qui la vérité peut bien souffrir quelques entorses puisqu’on défend « la Cause »
 
 
 

    La conclusion de tout cela est attendue : la linguistique de M. Bouvier, toute au service de l’unitarisme occitano-félibréen, ne peut que nous asséner la lourde leçon de morale qu’on a l’habitude d’entendre chez les Catau et les occitanistes : pour un vrai renouveau de la langue, il faut obéir à deux commandements :
1. « uno lengo d’o unenco, coustituïdo de dialèite, E NOUN PAS uno pluralita de lengo » (souligné par moi)
2. « li liame que PODON PAS èstre trenca entre l’unita e la diversita, dins la fourmacioun e dins la vido d’aquesto lengo » (page 11)
Une couche finale, pour les récalcitrants : « Tóuti aquéli que soun afouga pèr la quisto de l’identita prouvençalo, o de l’identita gascouno, lemousino… -e acò es legitime !- DÈVON BÈN COUMPRENDRE que, pèr èstre fruchouso, aquesto quisto A BESOUN d’èstre acoumpagnado d’uno VESIOUN FORÇO CLARO de la NATURO VERTADIERO DE LA LENGO que dis aquesto identita. » (ce qui est souligné l’est par moi)
    Bien sûr, M. Bouvier a bien le droit de croire (ou de faire semblant de croire) au Messie Occitania. Mais j’affirme avec force qu’il est intellectuellement MALHONNETE (et même SCANDALEUX), de la part d’un linguiste de sa taille, de mélanger sciemment considérations scientifiques et idéologiques, en essayant de faire passer les unes sous le couvert des autres.
Le mandarin ici a clairement repris du service… Je ne sais pas si c’est le fait d’être Cévenol, donc reboussiè, mais ce type d’injonction a le pouvoir immédiat de me mettre en état de révolte et de résistance : c’est cela le Félibrige ? c’est ce tissu d’inepties, sa position linguistique ? Qui pense-t-on impressionner avec de tels arguments d’autorité ? N’y a-t-il pas là une preuve flagrante que lorsqu’on est jacobin dans son idéologie, on devient brutal et méprisant ? Et les peuples d’oc (désolé pour le pluriel !) seront-ils encore longtemps considérés comme des moutons qu’on envoie paître dans les verts pâturages occitans sans que personne ne se lève pour dire non ? Tout cela me semble d’un autre siècle, le XXe, celui des idéologies totalitaires… sauf que ni le Félibrige ni les occitanistes ne disposent d’une armée ou d’une police politique, donc vos injonctions, Messieurs les Catau de l’Université ou du Félibrige, nous les recevrons avec tout le mépris qu’elles méritent : elles ne peuvent que nous renforcer dans notre conviction que vous n’êtes pas à la hauteur de vos responsabilités.

    Heureusement, cet exercice de camouflage ne pourra convaincre que les catau (déjà convaincus) et les quelques gogos qui, sans avoir réfléchi au fond de l’article, se contenteront de croire qu’un texte illustré de cartes linguistiques est nécessairement le « camin de verita » qu’on doit suivre sans réflexion, puisqu’il est publié dans le bulletin officiel du Félibrige.
    Je n’en veux certes pas au professeur Bouvier, qui dit ce qu’il veut là où il veut, même si sa prétention à vouloir empêcher les Provençaux de se vivre comme Provençaux (« pòu pas èstre VISCU en deforo de soun apartenènci à la lengo d’o », cf. plus haut) m’apparaît d’une insupportable suffisance (moi le Professeur d’Université, je vous dis à vous, bas peuple,  ce que vous devez ressentir et ce que vous avez le droit de vivre et de ne pas vivre : quelle morgue tranquille et si occitaniste !)
    Non : j’en veux au Félibrige qui, une fois de plus, montre à la fois ses criantes insuffisances en matière d’analyse linguistique et son alignement, en conséquence, sur l’occitanisme le plus extrémiste. Je constate, hélas, que nos multiples « remontrances » ne servent de rien : le Félibrige se trouve engagé, corps et âme, dans une opération idéologique autour de l’ « unité de la langue d’oc/occitan » qui ne peut que le livrer pieds et poings liés à son pire ennemi, l’occitanisme.
    Le ver est déjà, on le sait, dans le fruit : parcourons une dernière fois ce bulletin LOU FELIBRIGE pour observer la langue des responsables des maintenances.
    Aquitaine (pages 27-29) : tout en occitan. Et quelle langue ! Savez-vous comment on dit « Au cours d’une cérémonie » en aquitoc ? « al cors d’una ceremonia » (p.27). Et « Le pot de l’amitié » ? « lo pòt de l’amistat » (p.27). « Au sein des associations » ? « al senh de las associacions ». « Le dépôt de gerbes » ? « lo depòt de gèrba » (p.28). Tout ça signé par le MAJOURAU  Pontalier…
    Auvergne (pages 30-31) : tout en occitan. Mais la langue est bonne.
    Gascogne-Haut Languedoc (pages 31-33) : tout en occitan. Page 32, Philadelphe (de Gerde) est constamment évoquée sous une graphie « Filadelfà », qui me semble bien baroque : je ne connais pas le béarnais, mais si j’en crois l’Armana prouvençau, elle signait elle-même « Filadelfo » et pas « Filadelfà »
    Limousin (page 35) : tout en occitan. Mais le Majoral Valière, qui signe l’article, devrait faire attention : ne termine-t-il pas sa « credada » par le slogan suivant : « Un mesme païs, ‘na mesma lenga : lo Lemosin » ? Oser prétendre, dans le Félibrige actuel, que le limousin est une langue ??? Allez, Majoral, lisez et relisez le credo du linguiste officiel du Félibrige, JC Bouvier, puis allez faire amende honorable, un cierge à la main, agenouillé devant la croix d’Occitania !
    Bref, quatre maintenances sur six sont entièrement acquises à la cause occitane. En Provence, noblesse oblige, on écrit encore la langue de Mistral mais pour y faire la publicité d’un colloque occitaniste  « L’occitan en Provence-Alpes-Côte d’Azur » (page 36)
    Mon ami Serge Goudard m’avait, il y a quelques années de cela, convaincu de ne pas abandonner le Félibrige. J’avais suivi ses conseils. Aujourd’hui, c’est lui qui me dit son découragement et sa volonté d’abandonner un bateau qui part à vau-l’eau. Et j’ai à nouveau envie de le suivre : pourquoi en effet continuer à faire semblant d’être à l’aise dans une organisation qui s’évertue à trier le bon grain jacobino-occitan de l’ivraie pluraliste,  et nous rejette sans vouloir ouvrir le moindre dialogue ?
    Je connais dans le Félibrige des gens admirables de science et de dévouement, des Majoraux compétents, et des félibres qui mériteraient cent fois la Cigale ; j’ai de l’amitié pour JM Courbet, en dépit du rôle très néfaste qu’il a joué ces dernières années ; j’ai pour Jacques Mouttet du respect, tant pour sa personne que pour sa personnalité, que je trouve attachante. Mais le Félibrige est atteint de hollandisme, une maladie à la mode : incapacité à penser la situation dans sa complexité et à en tirer une ligne de conduite claire,  incapacité à prendre des décisions courageuses parce qu’elles seraient douloureuses, acceptation béate d’un statut-quo qui, peu à peu, délite l’organisation et décourage les bonnes volontés…

    Alors, comme disait le très prudent Mistral, attendons, veiren veni…
 
 
Yves Gourgaud, Felibre Mantenèire (de que ?)
 
 
 
En Cévennes, novembre 2013



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