mercredi 16 février 2011

Ive Gourgaud : Sur les traces du « felibre de Ceto »

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Ive Gourgaud fait honneur à Sète & à un des premiers écrivains sétois, qui écrivait en cévenol, mais aussi en sétois !!!


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Sur les traces du « felibre de Ceto »


La connaissance de nos littératures d’oc passe souvent par la résolution d’énigmes identitaires : qui se cache derrière tel ou tel pseudonyme ? Il existe certes une liste de ces pseudonymes avec les noms véritables de leurs utilisateurs (par P. Noguier : Lis escais-noum ; li patrounime dis escais-noum, étude publiée par La France Latine), cependant elle est bien loin d’être complète, en particulier pour la littérature cévenole …

Mais pourquoi, si on recherche des auteurs cévenols, s’intéresser à un « felibre de Ceto » ? Les Cévennes linguistiques s’arrêtent un peu au sud de Sommières dans le Gard, et personne n’a jamais voulu annexer Sète aux Cévennes… Au départ, il s’agit d’une lecture du Cacho-fio de 1882, ou plus exactement de son Ensignadou : aux pages 19 et 46, deux poèmes signés de ce pseudonyme « felibre de Ceto » sont donnés comme écrits en « cevenòu », ce qui a bien évidemment attiré mon attention. Mais la lecture des textes m’avait laissé sur ma faim : le second est carrément écrit en provençal rhodanien, et le premier n’a pas l’apparence d’une publication très fidèle, vu qu’on y trouve au début des formes en B (noubelo, biouletos) mais par la suite des formes en V (verdejo, viro, veritat, veire, vivo). Pour moi, au début, ce « felibre de Ceto » n’avait de cévenol que l’affirmation de la Table des matières. Pourtant, à y bien réfléchir, les braves prêtres et félibres qui dirigeaient la revue n’avaient pas pu inventer cette qualification, et si le mot « cevenòu » ne semblait guère s’appliquer à la langue, peut-être (ou sans doute) s’appliquait-il à l’auteur ? Il y avait donc à Sète, dans les années 1880, un félibre d’origine cévenole, et assez fier de cette origine pour la revendiquer. Mais qui était-ce ?

C’est la découverte (et la publication récente, Editions Aigo Vivo 2011) d’un manuscrit du poète alésien Elie Merle qui m’a mis sur la voie, très directement : un de ses poèmes (page 14 de notre édition) est dédié « au brave cambarado Castelnau, de Ceto »


Et voilà le mystère résolu ! Il suffit de consulter le dictionnaire de Fourié pour voir les éléments du puzzle se mettre en place : Joseph Henri Castelnau est né à Montpellier en 1848, mais il sera « entrepreneur à Sète, président de l’Escolo de Ceto, créateur du groupe Las Abelhas cetòrias (1896) ». Ceci suffit à expliquer son pseudonyme de « felibre de Ceto », qui n’était signalé ni par Noguier (qui signale deux autres pseudonymes de Castelnau : « lou Felibre dau Ratatet » et « Cabiscòu de l’Escolo de Ceto », ce qui est d’ailleurs plus un titre qu’un pseudonyme) ni par Fourié qui ne signale que le premier de ces pseudonymes.

Par ailleurs, on apprend que Castelnau est mort à Ganges en 1902 : on peut donc supposer qu’originaire de cette ville cévenole, il est revenu y passer ses dernières années… Et si l’on reprend maintenant le premier texte du « felibre de Ceto » dans Lou Cacho-fio, on pourra admettre qu’il reflète peu ou prou le parler gangeois qui semble hésiter entre B et V, étant situé entre le dialecte occidental cévenol qui dit B (comme le montpelliérain voisin) et le cévenol méridional qui dit V…

Il reste à lire les œuvres de Castelnau, un auteur bien oublié malgré deux imposantes publications, l’une et l’autre intitulées « La courouna pouetica dau Lengadoc » : la première (Ma dinieirola), imprimée en 1887 à Montpellier, compte plus de 670 pages de poèmes en édition bilingue ; la seconde, que je n’ai pas encore pu consulter, compte 825 pages : c’est Lian de pensadas, éditée en 1894… à Alès. On voit que les liens cévenols continuent de s’affirmer, et on suppose que, retiré sur ses terres cévenoles de Ganges, Castelnau a eu à cœur de confier à la capitale des Cévennes l’impression de ses dernières œuvres.



Si l’on parcourt la Dinieirolo, on se rendra compte immédiatement que la langue des textes est très nettement cévenole, semblable en tout point, ou presque, à celle de l’abbé Favre au siècle précédent (voir à ce sujet notre étude sur la langue de Favre : Grammaire cévenole, 4e partie, les dialectes , pages 39-44). En particulier, on trouvera chez Castelnau ce qui est un des marqueurs les plus nets de la langue cévenole, à savoir l’emploi (contrairement au montpelliérain et au « languedocien ») de formes contractées de l’article féminin pluriel : AS mans (page 6), DAS flous (page 12), AS pus bellas niochs, etc.

Quand aux thèmes traités, ils nous confirment eux aussi l’attachement de Castelnau au pays cévenol et à ses écrivains : il va dédier deux poèmes à Léontine Goirand, la belle félibresse alésienne, et on se rappelle que le félibre alésien Elie Merle lui a dédié à son tour un poème pour le remercier de l’envoi de la Dinieirola, envoi réservé aux amis proches puisque l’ouvrage n’avait été tiré qu’à 300 exemplaires. Ganges apparaît aussi plusieurs fois dans les poèmes de Castelnau.

Le pays de Ganges, qui pouvait déjà s’ennorgueillir d’être la patrie de Fabre d’Olivet, nous donne ainsi un autre écrivain de taille et de talent, huguenot lui aussi si l’on en croit le poème Lou pache evangelic, qu’il dédie « à Moussu lou Pastour Benouèt-Leenhardt ».

Je fais appel aux lecteurs de Marsyas2 pour me fournir des renseignements bibliographiques et biographiques supplémentaires (j’ai pour base les données de Fourié 2009) ; la consultation de La France Latine n° 122 de 1996 devrait se révéler utile voire précieuse, mais je n’ai que les n° 121 et 123 ! En particulier, tout renseignement sur le second grand ouvrage, « Lian de pensadas » sera accueilli avec reconnaissance : vers, ou prose ? édition bilingue ?, etc.


Pour me contacter : ive.gourgaud@orange.fr


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