mercredi 8 octobre 2014

L’ÉCHO DES CAGNAS DE REMIÈRES - une idées une mise en page et une présentation d'Ive Gourgaud









L’ÉCHO DES CAGNAS DE REMIÈRES


Avec le centenaire, les documents sur la Grande Guerre se multiplient sur le net : à noter une initiative des sites GALLICA (B.N.F.) et OCCITANICA (CIRDOC de Béziers) qui viennent de mettre en ligne une bonne partie des journaux de guerre partiellement ou entièrement écrits en langues d’oc. En particulier, le vellave Albert Boudon-Lashermes, félibre enthousiaste et organisateur d’élite, va créer sur le front un journal de tranchée qui comptera plus de 300 numéros et qui est connu sous le nom de L’ECHO DU BOQUETEAU, et les deux sites mettent à notre disposition bon nombre de numéros .
Cependant il est signalé que les tout premiers numéros avaient pour titre L’ECHO DE REMIÈRES, du nom d’un lieu-dit de la commune de Seicheprey (près de Toul) où était cantonné Boudon, mais aucun des trois numéros de cet « Echo de Remières » n’a été mis en ligne.
C’est donc une avant-première que nous offrons aux lecteurs de Marsyas2 en transcrivant ici l’intégralité du tout premier journal de tranchée félibréen, qui d’ailleurs a pour titre exact L’ECHO DES CAGNAS DE REMIÈRES. Cet humble journal manuscrit de quatre pages s’orne d’un dessin (que nous reproduisons également) qui veut faire comprendre au lecteur les conditions de ces « troglodytes » modernes que furent les poilus. 
Le texte de Boudon (pages 1 et 2) est à cet égard significatif, soulignant à la fois la tonalité lugubre de la vie de tranchée et la nécessité d’en sortir par la création d’une activité intellectuelle, alternative à l’abrutissement et à l’ivrognerie ambiantes.
Les statuts de la nouvelle Escolo dóu Boumbardamen (page 3), donnés en langue d’oc (un auvergnat vellave teinté de provençalismes) ont été donnés après la guerre par Boudon, mais pas dans leur intégralité ni dans leur mouture originelle : il s’agit d’un document très précieux pour l’histoire du Félibrige sur le front. On remarquera que dès ses débuts, l’Escolo entend réunir les félibres d’Auvergne et Velay avec ceux de Provence, anticipant l’histoire de ses activités sur le front, les Vellaves ayant été relayés et secondés par les Provençaux, en particulier le futur Capoulier Marius Jouveau et le Gardois Francis Pouzol, qui mourra moins d’un mois avant l’armistice.
Les statuts du journal lui-même (page 4) offrent le même intérêt historique, et indiquent clairement la volonté de Boudon et de ses amis de rester les maîtres absolus du journal : seuls les combattants seront admis à y participer. 
L’original de cet Echo des Cagnas de Remières est conservé à la Bibliothèque Municipale du Puy-en-Velay, certainement déposé par Boudon lui-même ou l’un de ses correspondants en Velay. 
Yves Gourgaud, octobre 2014 


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L’ÉCHO DES CAGNAS DE REMIÈRES
1e Année - N° 1 – 31 Janvier 1915  [4 pages manuscrites]



[pages 1 et 2]
A nos camarades du 286e  
Mes chers amis,
L’autre jour, en vidant en compagnie de Lamarche, Hobéniche et Lespinat, un bidon de pinard dans mon P.C. de chef de section, au secteur 2 de ce Remières maudit où nous gisons, vous et moi, enlisés dans une boue d’enfer, nous avons résolu de fonder un journal de tranchée. Non pas un journal imprimé, un journal élégant, solennel, impeccable,… mais une vraie feuille du front, rédigée par de bons poilus, et tirée à la diable sur une humble pâte à polycopier, avec le concours de tous ceux qui voudront bien ici nous aider dans cette entreprise. Notre but ?... Vous distraire un peu, et nous distraire du même coup, recueillir autour de nous toutes les jolies choses écloses dans les tranchées de première ligne où nous vivons ensemble, depuis les chansons de Favier, votre joyeux cuisot, jusqu’aux croquis de Lespinat et au journal de route de Lamarche ; vous permettre à tous de conserver des jours macabres que nous vivons ici, au fond de nos alvéoles de boue, derrière nos parapets de glaise, un souvenir vivant et pittoresque ; enfin, secouer la torpeur qui nous envahit tous, en cette existence lugubre, réveiller l’activité intellectuelle d’êtres humains condamnés par le progrès moderne à vivre sous la terre comme des bêtes fauves, et entretenir parmi nous le bon moral et la joyeuse humeur qui toujours furent l’apanage de la race française. Ce but, nous l’atteindrons sans peine si chacun de vous veut bien nous y aider un peu, soit en nous envoyant directement articles, poésies ou chansons, soit en nous faisant connaître les copains plus particulièrement aptes à collaborer au journal et que le genre de vie que nous menons tous actuellement nous permet difficilement de découvrir, alors qu’en cette vie de troglodyte nous nous connaissons à peine de vue, d’une section à l’autre, et pas du tout d’une Compagnie à l’unité voisine. Donnez-nous tout votre concours et vous verrez que nous ferons merveille ! Notre journal naît aujourd’hui dans un bien sinistre charnier ! derrière les créneaux moroses de Remières, parmi les humbles pins, déchiquetés par la mitraille, qui étendent encore leurs longs bras décharnés sur les tombes de vos compagnons d’armes ou sur les cadavres sanglants et desséchés de tant d’autres héros gisant encore entre les lignes ennemies sans qu’il ait été possible jusqu’ici de les ensevelir… Mais notre régiment ne restera pas éternellement dans cette région désolée, dans ce coin de terre maudit où chaque relève est au travers des ravins de Seicheprey comme une ascension au Calvaire ! Comme tant d’autres, nous irons au repos dans des secteurs plus calmes, plus accessibles, moins apocalyptiques !... Et puis, le printemps reviendra, ramenant jusqu’en nos cavernes la distraction, la vie, le soleil, la gaîté… Et pour pouvoir rester, comme il le faut ici, au milieu de la Mort sans en perdre la tête, nous avons tous besoin de vie, de distraction, de gaîté, de soleil !
Albert Boudon


[page 3]
L’Escolo dóu Boumbardamen
Despièi qu’avèn founda nosto Escolo dóu Boumbardamen, à la 18 dei 286, manco pas de mounde pèr nous crida : « Sias fòu ! Voulès nous faire l’escolo ? » - E ! noun ! Voulèn pas ensigna ! Voulèn vous diverti ! E pèr lou moustra, vaqui lous Estatuts de nosto Escolo :
1. Es esta founda, pèr lous felibres velaiens de la 18° Cìo dei 286 uno Escolo felibrenco qu’a reçaupu lou noum d’Escolo dóu Boumbardamen e qu’es esta /sic/ afiliado à la Mantenènço de Velai.
2. L’Escolo se prepauso de diverti lou brave mounde de Velai, de Prouvènço e d’Auvergno que formo la grando majourita de noste regimen, e pèr acò vòu ourganisa de fèsto, de councèrt, vòu founda un journalet, faire de Jos Flouraus e de felibrejados, douna de representaciouns.
3. Pèr deveni felibre de l’Escolo chau èstre sóudard dins uno unita que coumbat, èstre subre lou front odounc esvacua dei front.
Mèmbres de l’Escolo :
Cabiscòu : Jan-Batisto Sabatier, de Tiranjo en Velai.
Assessour : Albert Boudon, dei Puei-en-Velai.
Baile : Edouard Lespinat, dei bèu païs d’Auvergno.
Tresourié : Vital Montel, de Chilhac (Auto-Lèiro).
Secretàris : Marcel Noël, de Retournac en Velai.
Jan Favier, de Crapono en Velai
Direitour de la Couralo : Auguste Delorme, dei Puei-en-Velai.
Mèmbres : Pèire Chassaing, de Noiretable en Fourès,
Antounin Episse, de Valcivièro en Auvergno,
Eugèni Jammes, de Sto Marìo dei Chazos en Velai,
Jan-Batisto Laurent, de St Berain en Velai,
Auguste Hobeniche, de Fournols en Auvergno,
Antòni Bonnefoy, d’Issinjau en Velai,
J.B. Lempereur, de St Legier en Bourbounés,
Johani e Glaude Lamarche, de Thoissey en Bourgogno.
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Coumènçan /sic/ lou prouchan cop noste fuietoun : « Nos Cuisots », sarò poulit !!!
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[page 4]



Statuts de l’Echo
1. Il est fondé, au 286e, pour les félibres de l’Escolo dóu Boumbardamen et pour leurs camarades, un journal de tranchée qui portera le nom d’Echo des Cagnas de Remières.
2. L’Echo est un journal illustré qui paraîtra quand il pourra, mi-français et mi-provençal afin d’être à la portée de tous.
3. L’Echo étant un journal de guerre, il faut pour y être rédacteur appartenir à une unité combattante, être réellement sur le front, ou en avoir été évacué pour blessure ou pour maladie.
4. Le bureau et le Comité de rédaction de l’Echo sont renouvelables tous les ans, et élus par l’Escolo dóu Boumbardamen. Au cas où les membres actuels du Comité viendraient à être séparés par les nécessités du service, le Bureau de l’Escolo convoquerait les membres restant et constituerait avec eux un nouveau Comité.
5. L’abonnement annuel est fixé à 3 francs.
Comité de l’Echo
Directeur-Rédacteur en chef Albert Boudon
Secrétaire de Rédaction Jean-Baptiste Sabatier
Trésorier Pierre Chassaing
Gérant Antonin Episse
Reporters : Vital Montel, Marcel Noël, J. Bidon
Comité de Rédaction : Jean Favier,
Jean-Baptiste Laurent
Jean-Baptiste Lempereur
Johanny Lamarche
Auguste Hobéniche
Eugène Jammes
Léon Rodier
Pierre /sic/
Dessinateur : E. Lespinat
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Pour s’abonner à l’Echo prière de s’adresser au directeur Boudon, ou au secrétaire de rédaction Sabatier, l’un et l’autre à la 18e Compagnie du 286e 


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(reproduction de ces documents autorisée à condition de citer la source : blog MARSYAS2)



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