lundi 8 septembre 2014

Yves Gourgaud : LES MIL (= Marqueurs d’Identité Linguistique) - DE LA LINGUISTIQUE A LA LITTERATURE




DE LA LINGUISTIQUE A LA LITTERATURE : 

LES MIL
(= Marqueurs d’Identité Linguistique)


1. Une typologie occitano-félibréenne

Depuis le XIXe siècle, on a l’habitude de présenter une langue en établissant sa typologie, c’est-à-dire en donnant un ensemble de caractéristiques linguistiques qui opposent cette langue à ses voisines.
 Les tenants de « la langue d’oc/occitan » n’ont pas manqué d’établir une telle typologie : on la trouve aux pages 6 et 7 de l’ouvrage de référence en matière de « langue d’oc » vue par un félibre : Grammaire istorique des parlers provençaux modernes par Jules Ronjat, Majoral du Félibrige. C’est la même typologie que va utiliser Pierre Bec pour présenter sa « langue occitane », la filiation Félibrige-occitanisme étant ici clairement assumée.

Or nous trouvons cette typologie très critiquable, et pour plusieurs raisons :

1) Les critères (il y en a 19) nous semblent en nombre très insuffisant, s’agissant d’un aussi vaste territoire : nous verrons plus bas que, pour notre petite Cévenne, nous avons dégagé 30 critères, soit un gain de plus de 50% pour un territoire vingt fois plus réduit !

2) Si on veut décrire une langue moderne  (c’est théoriquement le but de Ronjat, et c’est clairement le nôtre), on pourrait ou devrait éviter d’y mêler des critères d’évolution de la langue à travers les âges : sur les 19 critères de Ronjat, 3 partent du latin, ce qui donne l’énoncé suivant (critère n°7) :
?« Maintien, ors cas particulier, de latin (a), quelles que soient les précessions », ce qui, on en conviendra, ressemble à du charabia pour l’immense majorité des lecteurs : c’est la preuve que le savant Ronjat ne voulait s’adresser qu’à des spécialistes comme lui.
Notre but est tout à fait différent, pour ne pas dire opposé : nous n’avons nul besoin du regard et du jugement des spécialistes et des « linguistes de formation », car nous ne voulons nous adresser qu’à des personnes désireuses de sauvegarder leur langue. Non pas à des linguistes, mais à des écrivains ou tout au moins à des lecteurs. La différence est de taille. Notre rejet du latin et de tout travail étymologique inscrit notre travail dans une volonté de faire connaître et utiliser une LANGUE VIVANTE, une langue pour le XXIe siècle.

3) Ronjat ne formule pas clairement les critères : trop souvent, sous le couvert d’une « description scientifique », on découvre un à-peu-près qui n’a pas de place dans une typologie. 
Prenons son critère 1 :
« Absence ou tout au moins rareté des voyelles fermées… »
Une « absence », c’est facile à contrôler ; mais une « rareté », qu’est-ce que cela signifie ? Rareté par rapport à quoi ? Où commence ladite « rareté » ? On le voit, de tels critères laissent la place à toutes les interprétations, sans compter que la « rareté » contredit l’ « absence ».
Nos critères à nous seront tous très clairement définis comme présence (donc en positif) de faits facilement vérifiables pour les sceptiques ou simplement les curieux.
Ronjat,  lui, semble se complaire dans l’à-peu-près, et il faudrait peut-être se demander pourquoi : n’est-pas parce que le monstre baptisé « provençal », « langue d’oc » ou « occitan » suivant les chapelles n’est que très difficilement définissable, et qu’il faut donc recourir à des critères qui, n’étant que des demi-vérités, sont aussi des demi-mensonges ? Je continue la liste de ces critères que Ronjat soumet à notre subjectivité :

Critère 2 : « Voyelles nasales couvrant très généralement… »
Critère 4 : « Diftongaison… seulement dans certains cas particulierssauf diphtongaison générale… »
Critère 7 : « Maintien, ors cas particuliers… »
Critères 8 et 8’ : « Fréquence des paroxitons… variété des voyelles… »
Critère 9 : « Solidité très générale… »
Critère 10 : « Pas de proparoxitons sauf mots niçois, etc. » 
Critère 16 : « Liberté relative… »
Critère 19 : « Vocabulaire commun (pour le fonds principal)…»

4) Ce dernier critère permet d’enchaîner sur une autre critique : certains critères, comme ce n°19, sont donnés en des termes bien trop vagues pour être efficaces : qu’est-ce que Ronjat entend par « vocabulaire commun » ? Même en le réduisant à 2000 ou 3000 mots, a-t-il vraiment pris le temps de vérifier que ce vocabulaire est « commun » ? J’ai déjà montré ici, à propos d’une étude de JC Bouvier qui prétendait la même chose dans la revue du Félibrige, que cette idée occitano-félibréenne est formellement démentie par les faits et que le vocabulaire d’oc se caractérise, au contraire, par une grande diversité dans l’espace. Ceux qui en doutent n’auront qu’à consulter l’ouvrage de référence : Lectures de l’ALF de Guilleron et Edmont, dans lequel des centaines de cartes de France coloriées prouvent ce que j’avance, et démentent Ronjat, Bouvier et tous les tenants de l’unité du lexique en terres d’oc
?Dans l’ordre des « généralités non scientifiques », on trouvera encore le critère 12 : « Formes verbales constituant un système à part » : nous avons, quant à nous, établi un ensemble de 15 critères précis touchant ce fameux « système verbal », qui est évidemment l’épine dorsale de toute langue romane.



2. Les Marqueurs d’Identité Linguistique (MIL)


Cette critique de la typologie unitariste (occitano-félibréenne) nous a amené à concevoir une autre façon d’établir la « carte d’identité » des langues d’oc : d’abord (cf. plus haut) nous rejetons les critères d’évolution historique à partir du Latin, car l’utilisateur de nos langues se moque éperdument de savoir si un (O) dans sa langue provient d’un (O) latin ouvert ou fermé, d’un (A), d’un (E) ou de quoi que ce soit !
Ensuite, nous avons éliminé tous les critères qui ne pourraient pas être constatés DANS LA LITTERATURE, et c’est là que se justifie le titre de notre étude : « de la linguistique à la littérature ». Ce qu’il nous importe, après avoir établi l’originalité de notre langue, c’est de savoir comment elle peut ou doit s’écrire au XXIe siècle.
Les Provençaux pourront se demander pourquoi attacher autant d’importance à l’écriture du cévenol (puisque c’est de ma langue cévenole que je vais parler) : mais qu’ils se rappellent que grâce à Mistral, ils ont une langue fixée et une littérature prestigieuse, ce qui n’est pas le cas de bien d’autres variétés d’oc. Or les néo-écrivains (et il y en a, Dieu merci) ont besoin de certitudes en matière d’écriture : en Provence, grammaires et dictionnaires sont là pour fournir toute la matière dont a besoin l’écrivain, mais en Cévennes c’est loin d’être le cas. Il suffit de savoir que la première Grammaire cévenole imprimée a vu le jour… en 2014 !
Voici donc comment ont été sélectionnés les 30 critères qui, ensemble, forment une typologie de la Langue Cévenole : d’abord, et contrairement à la typologie étudiée plus haut, nous n’avons pas voulu opposer le Cévenol à l’ensemble des langues voisines, mais d’abord et avant tout à l’ennemi principal (selon nous) des langues d’oc vivantes, à savoir la « langue occitane » telle qu’elle est définie par ses partisans et telle qu’elle est, hélas, enseignée dans les Calandretas et autres « cours d’occitan » en Cévennes comme partout ailleurs. Les 30 critères sélectionnés opposent tous la langue cévenole réelle (dans sa variété centrale alésienne) à la « langue occitane » qui prétend s’y substituer. Voici le premier critère de sélection des MIL.
Le second critère est que ces MIL, ces MARQUEURS, doivent pouvoir être contrôlés et observés dans la production écrite cévenole. C’est un vrai critère de sélection, parce que par exemple l’absence de marque du pluriel en cévenol central (on dit « lous ome » et pas « lous omeS ») ne peut être vérifiée dans la plupart des textes, les auteurs ayant pris l’habitude, comme en français, d’écrire des –S qu’ils ne prononcent pas.
Le troisième critère est que ces MIL doivent concerner des formes ou des mots extrêmement courants : le verbe étant le centre de notre pensée, les conjugaisons concernent la moitié des MIL : soit terminaisons régulières applicables à des milliers de verbes, soit des formes de verbes très utilisés comme ETRE, AVOIR et FALLOIR. La morphologie non verbale concerne les 11 critères suivants : des mots-outils comme AVEC ou MAIS, des formes de l’ARTICLE, des adjectifs POSSESSIFS, des pronoms PERSONNELS. Viennent finalement 2 critères de SUFFIXATION et 2 de PHONETIQUE.
Là où, avec leurs malheureux 19 critères pratiquement invérifiables, Ronjat et les occitanistes voudraient nous convaincre de l’unité de la « langue d’oc/occitane », nous avons pu établir, avec 30 critères tous facilement vérifiables, l’opposition frontale entre la langue cévenole (dans sa forme centrale alésienne) et la « langue occitane » dont on voit, à l’occasion, à quel point elle est différente de notre langue réelle patrimoniale. Un exemple entre mille : les occitanistes essaient, dans leurs ouvrages pédagogiques, de nous faire apprendre que « tu es » se dit « sès », alors que dans la langue réelle, (sès) veut dire… « vous êtes ». Donc lorsqu’ils poussent des cris plaintifs devant ce qu’ils appellent notre agressivité à leur égard, ils devraient comprendre que nous ne faisons que répondre à une véritable agression de leur part, agression contre notre langue que, dans le plus pur esprit impérialiste, ils voudraient remplacer par la leur.



3 Comparer les langues d’oc entre elles


Nous venons de le dire : les 30 MIL du cévenol alésien ont été établis pour opposer notre langue cévenole à l’occitan, ce qui est après tout de bonne guerre puisque les Occitans non seulement prétendent que leur « occitan » est une langue véritable, mais qu’en plus ils prétendent nous l’imposer comme langue d’enseignement (et c’est bien concrètement ce sabir qui est enseigné dans les cours d’occitan en Cévennes).
Mais rien n’empêche d’utiliser les MIL pour comparer la langue cévenole centrale avec les formes de langues voisines. C’est même important, car l’affirmation de l’existence du cévenol comme langue étant récente, bon nombre de nos interlocuteurs peuvent se demander si cette affirmation ne serait pas une exagération de notre part. Nous avons donc confronté nos MIL avec la réalité des parlers voisins : pour la Lozère, le parler de Mende a été sollicité, car il est promu par les gévaudanistes (félibréens) au rang de parler directeur pour l’ensemble du département (les félibres comme les occitanistes ignorent sans doute que Gévaudan et Lozère ne sont pas des synonymes, mais passons) ; pour l’Ardèche, c’est celui de Privas qui a été choisi vu l’importance du chef-lieu dans le département ; au sud, c’est bien évidemment Montpellier qui a fait l’objet d’une comparaison, puisque Messieurs les occitanistes mélangent les parlers cévenols avec les montpelliérains dans le même sac linguistique appelé par eux « sous-dialecte languedocien oriental » Et bien sûr la langue des Provençaux dans sa forme mistralienne-rhodanienne a aussi fait l’objet d’une comparaison.
Il n’est pas question ici de détailler ces études comparatives : je les tiens à disposition de qui ça intéresse, et ne donne ici que l’essentiel, à savoir les résultats globaux de ces comparaisons. Je donne pour chaque groupe linguistique le nombre de critères communs avec Alès :
- le Montpelliérain qui est censé être du même « sous-dialecte » (occitanisme dixit) n’a que 14 critères de commun, soit 46% d’affinités.
- le Provençal mistralien est lui aussi réputé être proche du cévenol central (plusieurs de nos écrivains ont soit écrit toute leur œuvre, soit une bonne partie en provençal) : or on ne trouve que 12 MIL communs, soit 40% d’affinités
- Privas est la capitale d’une zone linguistique dite « des Boutières » : elle ne partage que 11 MIL avec Alès, soit 36% d’affinités
- Pour la Lozère, nous avons fait deux études : l’une sur le parler strict de Mende, l’autre à partir des formes d’une grammaire gévaudanaise qui sert de référence en s’appuyant sur ledit « parler central » de Mende : on voit ici ou là apparaître des différences entre ces deux formes de « langue gévaudanaise » mais le résultat d’ensemble se trouve être le même, et cette langue « gévaudanaise » ne partage que 9 MIL avec Alès, soit 30% d’affinités.
Tous ces chiffres sont à nos yeux extrêmement clairs : le Cévenol est une langue bien à part, qui s’oppose vigoureusement à toutes les langues voisines.



4 Comparer les dialectes cévenols entre eux


Nos MIL ont déjà permis d’affirmer que le cévenol n’est pas du tout de l’occitan, et qu’on ne peut pas non plus en faire du « provençal », du « languedocien », du « nord-occitan » ou quoi que ce soit. Reste à établir maintenant l’unité de la langue en comparant le cévenol alésien ou central avec la langue d’autres régions cévenoles. Et pour déterminer quelles « régions cévenoles » pourraient être étudiées, nous avons établi des critères de « centres de production littéraire » : quand un canton (micro-territoire) avait produit à lui seul au moins trois auteurs avec au moins deux œuvres imprimées, alors il était considéré comme Centre de production littéraire. Dans d’autres cas, nous avons élargi le territoire jusqu’à l’ensemble d’un département, comme pour la Lozère et l’Ardèche. 
Nous avons, parmi les diverses formes, sélectionné celles qui étaient semblables aux MIL alésiens, avec les résultats suivants :
Lunel : 24 MIL communs, soit 80% d’affinités
Lozère cévenole : 25 MIL communs, soit 83% d’affinités
Sommières : 27 MIL communs, soit 90% d’affinités
Ardèche cévenole : 28 MIL communs, soit 93% d’affinités
Lasalle : 28 MIL communs, soit 93% d’affinités
Pays viganais : 28 MIL communs, soit 93% d’affinités
Ganges : 28 MIL communs, soit 93% d’affinités

Tous ces résultats, surtout si on les compare avec les scores obtenus par les groupes linguistiques voisins (cf. plus haut), se passent de commentaires et affirment (bien au-delà de nos espérances, nous pouvons l’avouer) non seulement l’existence d’une Langue cévenole, mais sa très grande unité.


5 Ecrire en « dialecte cévenol »


Si nous étions occitanistes, et devant de tels résultats, nous proclamerions haut et fort que le « cévenol standard » est celui d’Alès, et qu’il convient de l’écrire partout dans sa forme centrale alésienne. Or nous ne sommes pas occitanistes, et nous tenons à ce que la variété linguistique (autrement dit, les variétés dialectales) puissent se manifester à l’écrit. Et nous en revenons à ce passage de la linguistique à la littérature : comment la connaissance des MIL peut-elle aider à l’écriture cévenole dialectale ?
Il doit être bien entendu que les réflexions qui suivent ne sauraient s’appliquer aux écrivains patoisants : quand on a la chance de connaître une forme précise de langue cévenole, on a le droit, voire le devoir, de la faire connaître et aimer au moyen de l’écrit, en conservant toutes ses particularités. Mais nous parlons ici aux néo-écrivains, à ceux qui veulent retrouver l’empèri de la lengo mais qui ne connaissent pas assez bien une forme locale précise. En ce cas, nous conseillons de choisir une forme élargie de la langue, non celle d’une commune mais celle d’un des Centres de production littéraire étudiés ci-dessus, et de marquer à l’écrit les MIL qui caractérisent ce centre : l’écart avec la langue littéraire centrale/alésienne sera minime, mais réel, et cet écart contribuera à ancrer sa production dans une région cévenole bien déterminée.
Prenons un exemple très concret, celui d’un écrivain cévenol originaire de Lozère (ou qui se sent « citoyen » de ce département) : il marquera son appartenance lozérienne par les mots ou formes suivantes :
Il écrira (sios) pour « tu es » et non pas (siès) comme en Alès ;
Il écrira (des) pour l’article contracté masculin  « des » et non pas (das)
Il écrira (à las, de las) et non pas (as), (das), sachant par ailleurs que les formes (as) et (das) coexistent en pays alésien avec les formes (à las, de las)
Il écrira (tu) pour « toi » et non pas (tus)
Il écrira (mès) pour « mais » et non pas (mè)
Ces 5 MIL, ajoutés bien sûr aux localismes de vocabulaire, suffiront amplement à marquer sa production comme « cévenole lozérienne ». Grâce aux MIL, l’unité de la langue peut être affirmée consciemment et efficacement, mais la diversité et surtout l’authenticité des parlers seront maintenues, l’important étant de pouvoir conserver la juste mesure entre unité (MIL communs) et diversité (MIL différents)



6 A vous de jouer !


Certains auteurs, surtout dans le Félibrige, ont écrit leur langue non selon les vrais critères mistraliens, mais selon des constructions idéologiques qui ont préparé l’occitanisme graphique : c’est le cas par exemple à Lunel, où des écrivains de grand talent comme A. Langlade et A. Roux ont maquillé (ou laissé maquiller) leur langue authentique. Nous avons le devoir, quand nous les rééditons, de rétablir cette authenticité, et les MIL aident à ce travail. 
Qu’on se reporte à mon article récent sur la traduction du Lac de Lamartine : on verra que j’ai utilisé le présent travail sur les MIL pour redresser l’écriture de Roux et en faire une écriture vraiment mistralienne.
Vous pouvez à votre tour utiliser les MIL, mais si vous n’êtes pas en terrain cévenol, vous devrez commencer par établir votre propre liste de MIL, toujours à partir du même critère de départ : opposer votre langue (ou dialecte, ou simple parler, ou parler d’un auteur, etc) à l’occitan. Par exemple, pour la langue provençale mistralienne, il me semble évident qu’un des MIL serait la forme de l’article LI ; des formes comme (siéu), (erian), (emé) s’opposent nettement à occitan (soi), (èrem) ou (amb), etc.
Si vous êtes limousin, ou sétois, etc. vous aurez encore d’autres MIL qui opposeront votre parler à l’occitan. Cette liste une fois établie, vous pourrez à votre tour comparer votre parler aux parlers voisins (ou éloignés), et je vous souhaite d’aussi agréables surprises que celles qui furent miennes lors de mes travaux sur la langue cévenole.



7 Un exemple de travail avec les MIL


Voici un extrait du célèbre Jan-l’an-pres de l’abbé Jean-Baptiste Favre, de Sommières, retranscrit dans une graphie mistralienne qui respecte scrupuleusement la langue du texte original mais avec le (a) final noté (o). Les mots qui sont concernés par les MIL du cévenol central (alésien) sont marqués en lettres grasses, afin que le lecteur puisse voir d’un coup d’œil et leur valeur et leur fréquence.

Truqueto caligno Margot

Margot, frescasso coumo vous ai dich, mancavo pas de calignaires. Li aviè pas fil de bono maire, dins Soulorgues e tout lou vesinat, que noun venguèsso passa lou dimenche e las fèstos à soun entour. Tout acò la badavo, la pessugavo, l’acoutissiè, la roussegavo deçai, delai, per camps, per prats, per vignos, per rasos, per valats, per travèrsos, sans faire mai de cas das autros fihos que lous roussignòus noun n’en fan das ratapenados. Truqueto se metèt de la colo, e siè merite, siè bonur, seguèt preferat à toutes lous autres. Ce que li ajudèt fort es que sa vacacioun lou reteniè dins l’endrech, e que vesiè Margot touto la sanclamo de la senmano, liogo que lous autres, oublijats à gagna sa vidasso à la campagno, faliè bravament e ben que s’en fretèssoun lou nas. 
Un ome escarrabihat coumo èro moun paire, que passo sièis jours sus sèt, tout soul, autour d’uno jouve, poudès be coumta que, per pau que li fago, avanço besougno. La maire de Margot fasiè de brouquetos, e de tout lou jour restavo pas à l’oustau. Elo las pourtavo à la boutigo de Truqueto. Aqui las coupavo, las apariavo, las soufravo, las empaἀquetavo, e tout en travaiant restavo pas de faire ce que faliè per dereveia la gaiardiè de moun paire en cantant de cansounetos de Paris, en lou pounchounant dins las costos emb’uno leseno, en li fretant laugeirament las babinos emb’uno boulo de pego. Moun paire qu’entendiè lou badinage, que preniè tout per rire, quitavo de repetassa, li gitavo finament soun tirapè darriès lou col, e se li ficavo dedins emb’elo. Sus acò, sautàvoun, trepàvoun, roudàvoun, toumbàvoun, cacalassàvoun e se relevàvoun coumo poudièn. Tout acò, sans coumta que Truqueto li metiè de talounets à sas grounlos e que n’en petassavo lous traus per pas res, chatouièt talament lou cor e las meginos de Margot que, quauques dimenches après, lou rèsto de la jouinesso hou counouguèt : la trouvèt pus fièro e pus reddo que la gouvernanto dau priu de Besousso.  Restèroun pas de veni long-tems encaro li canta de lànἀfois e de regrets davant sa porto, mès ni per aquelo, res noun boulegavo coumo las autros fes ; tout acò noun èro que de musico pus estrassado qu’aquelo das cats au mes de febriè. 
Truqueto que li lous trouvèt un souèr, siblèt, sans fa semblant de lous veire, e crac ! vejaqui Margot à la fenèstro. Poudès me dire se per aqui n’i ajèt de mouquets !
 Un autre vèspre que se li degargamelàvoun, Truqueto passo, estournudo, e Margot à la fenèstro. 
Anfin, per vous fa veire de qu’es acò que l’amour, un vèspre qu’avièn desplegat tout soun saupre sans mai avança, Truqueto lachèt pas qu’uno grosso ventado, e Margot couriguèt aquelo fes à la fenèstro embé tant de fioc, que s’en manquèt pas de res que noun sautasso à la carrièiro. Se dis : qué ben aimo, de lion counoui ; mès, per acò, avouas, Moussu lou baroun, que fau èstre ben amourous d’uno persouno per la counouisse sus un mot de guèt d’aquelo meno. 



Les MIL du texte

MIL n°6 (imparfaits et conditionnels en -E-) : nombreux exemples : aviè, acoutissiè, fasiè, avièn…
MIL 13 (formes en S-G du verbe ETRE) : seguèt
MIL 15 (existence du verbe (foudre)  pour « falloir ») : fau, faliè
MIL 16 (forme (embé / endé) pour « avec ») : embé, emb’ devant voyelle
MIL 18 (article masculin DAS) : das cats
MIL 19 (article féminin DAS) : das filhos, das ratapenados
MIL 20 : (« y » traduit par I ou LI) : li aviè, se li ficavo, li lous trouvèt
MIL 28 (suffixe en –iè) : gaiardiè
MIL 30 (conservation du V) : tout au long du texte ; on n’a mis en gras que ceux de la première phrase : vous, mancavo.

Soit un total de 9 MIL repérés sur une seule page de texte.


Yves Gourgaud, 
septembre 2014





N.B. La liste des MIL de la langue cévenole alésienne est publiée dans notre Petite grammaire cévenole, qu’on se procurera par internet sur le site de l’éditeur ATRAMENTA.
Le texte de Jan-l’an-pres dans une nouvelle version qui fait la synthèse des deux versions connues est à commander chez Yves Gourgaud, 56 avenue du 8 mai, 30520 St-Martin-de-Valgalgues (contre envoi d’un chèque de 5 euro à l’ordre de : Yves Gourgaud). Trois exemplaires seulement sont disponibles.








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