dimanche 16 octobre 2011

Nicola Dal Falco : LE PAYS DE L’OR ET DES LUMIERES - Traduction française par François Simon

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Le Mont Blanc
Jean Dubois
(1789-1849
)


LE PAYS DE L’OR ET DES LUMIERES

de
Nicola Dal Falco




Traduction française
par
François Simon



C’est ce que l’on disait d’Aurona, le royaume souterrain de l’abondance: «el pais de l’or e de la lumes».

Assez vaste, voire trop pour mériter le nom de pays. Un pays où la priorité revenait à l’or et aux lumières qui le décoraient comme un tabernacle.
Lumières précieuses qui, cependant, toutes ensemble ne faisaient pas une lumière à proprement parler, mais une clarté diffuse dans le creux de la montagne. Par analogie avec l’abîme qu’elle cachait, la chaîne du Padon, où naît un torrent qui porte aussi le nom d’Aurona, est sombre comme le ventre d’un four, semblable aux scories amoncelées sur les bords d’un gouffre immense.

Les richesses n’y affleuraient pas par un heureux hasard mais grâce au dur labeur des habitants, et elles étaient le fruit d’un pacte entre le roi et les enfers.
Selon cet accord, elles ne s’épuiseraient jamais, à condition que le peuple reste pour toujours sous terre. Pour en clore l’accès on avait scellé une porte toute en or.
Ce royaume coïncidait peut-être avec l’au-delà, ou en était un duché important, dont seul le régent connaissait le monde extérieur, sa lumière qui renaissait et savait comment était l’alternance du jour et de la nuit, de la vie et de la mort qui en garantissait la richesse, l’excès.

L’or, au fond, ne brille pas, mais émet une lueur ténue et persistante; ces hommes et ces femmes conservaient durant toute leur existence un aspect larvaire.
Il est de fait que personne, sauf le roi d’Aurona, n’avait jamais vu la lumière du soleil.
Puis un jour, selon la juste fatalité de tout récit, une lampe tomba et un trou s’ouvrit dans la voûte, libérant un rayon de lumière tranchant, si clair qu’il donnait envie de s’en inonder.

Seule un mince interstice séparait les cavernes d’Aurona du reste du monde.
C’est vers cet œil éblouissant que se dirigea l’un des vieux terrassiers, auquel il suffit de dresser une longue échelle pour regarder au delà de la source lumineuse.
Tout le frappa, les formes, les couleurs et l’énorme lumière qui rendait possible ce spectacle inattendu. Et quand il rentra la tête, il commença à expliquer, à tenter des comparaisons.
Dans son total émerveillement, les yeux pleins des choses qu’il avait vues, il ne s’aperçut pas tout de suite qu’il était devenu aveugle.
La fissure fut immédiatement refermée. Toutefois, même sans en parler, les paroles du vieillard avaient ouvert une brèche dans le cœur des habitants d’Aurona et surtout dans celui de la princesse Sommavida.

La mélancolie qui l’envahissait, sensation qu’elle n’avait jamais éprouvée auparavant, se calmait seulement en se tenant à côté de la porte condamnée du royaume.
Là, un écho de cet ailleurs étranger et nostalgique parvenait à s’infiltrer. Il lui semblait entendre des sons, parfois un bêlement ou des voix confuses.
Et peut-être elle même avait-elle tenté de susurrer quelque chose vers l’extérieur.
On ne sait pas très bien comment sa veille derrière la porte fut découverte par Odolghès, roi de Contrin, qui se promit de libérer la princesse.
Pendant sept jours, il frappa contre la porte avec son épée, parvenant enfin à fendre un battant et à l’entrouvrir suffisamment pour qu’à la suite de Sommavida tout le peuple d’Aurona se répande dans le monde, en tournant définitivement le dos à l’obscurité.

A force de frapper sur la porte, la pointe de l’épée du roi s’était imprégnée d’or.
Sur une bonne partie, le métal précieux avait supplanté le fer, marquant non un ajout, mais une fusion, un signe de puissance, de reconnaissance.
La pointe brillait tellement dans les batailles qu’on donna à l’épée et à son possesseur le nom de Sàbja da Fek, épée de feu.
Odolghès épousa Sommavida mais refusa cependant ses richesses.
C’est aussi pour cela que l’on cessa de penser à Aurona, oubliant avec le temps la place exacte de la porte.
Enfin, un éboulement en scella à nouveau l’entrée.

Il reste encore quelques questions. A qui appartenait Sàbja da Fek, au roi guerrier ou au souvenir d’Aurona, à son maléfice? Et ses habitants, qui étaient-ils vraiment?
Sans oublier Sommavida, dont le nom sacerdotal ne pouvait pas prédire seulement un désir de fuite.

Peut-être, pour reprendre un doute déjà exprimé, le roi d’Aurona n’est autre qu’Hadès, artisan d’une richesse et d’une tyrannie sans limites.
Le pacte pour garder les âmes des morts bien enfermées afin de ne pas trop angoisser les vivants a été rompu par un héros qui arrache une fille et une épouse au souverain d’en bas. Y parvient, ou du moins c’est ce qu’il semble, car la suite de l’histoire, tout en faisant honneur à sa valeur, ne le sauve pas, bien au contraire.

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