La pointe courte
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Sète
BRASSENS
EN LANGUES D’OC
Ce sont les Provençaux qui ont tiré les premiers : le chanteur et guitariste André Chiron a enregistré depuis 2002 trois CD entièrement consacrés à Brassens, dont il chante 37 chansons en provençal rhodanien.
Les Sétois ont relevé le défi en la personne de Philippe Carcassés, chanteur et musicien, qui a traduit lui-même 36 chansons de son célèbre compatriote et a produit à son tour trois CD tous intitulés « Corne d’aur’oc », avec en sous-titre : « Brassens chanté en langue d’Oc ». Le premier livret d’accompagnement (les deux chanteurs offrent l’intégralité des paroles) disait explicitement : « Toutes les chansons de ce CD sont traduites en dialecte « sétois », ce qui signifie que le chanteur chante dans la langue que le grand Georges a dû entendre autour de lui dans sa jeunesse. Cette fidélité à la langue véritable de l’endroit, nous en trouverons des preuves concrètes dans les chansons elles-mêmes.
« Dialecte sétois » ? Cette façon de présenter les choses a dû déplaire à quelque savant ou quelque occitaniste engagé, puisque dans les livrets qui suivent il est écrit que « toutes les chansons sont adaptées en occitan. » De la même façon, alors que sur le second CD il était précisé que la langue des chansons est « la langue de l’étang de Thau », le dernier opus prend soin de préciser : « … interprétées, en occitan, dans la langue de l’étang de Thau », histoire d’apprendre aux analphabètes occitanistes que ce qu’on parle à Sète c’est de l’ « occitan »… ». Ouf, l’honneur est sauf, et l’Occitanie une et indivisible peut respirer ! Comme disait le poète provençal Mas-Felipe Delavouet, rions de bon cœur, et passons à autre chose : si Philippe Carcassés est occitaniste, il l’est dans le meilleur sens du terme car lui il connaît admirablement bien sa langue, non pas un « occitan » de laboratoire mais la vraie langue de Sète, et il la chante en effet, même si les textes de ses chansons, écrits à l’occitane, sont loin de refléter cette fidélité et cette authenticité.
Pour avoir eu la chance de parler avec l’un comme avec l’autre, je peux témoigner de leur grande modestie et de leur grand professionnalisme, deux qualités qui en font de grands artistes et des hommes pour qui l’humanisme n’est pas un vain mot. Tout ceci se retrouve immédiatement lors de leurs concerts, tant est immédiat et fort le lien qu’ils savent nouer avec leur public. Les ayant rencontrés avant leur premier passage en terre alésienne, je me souviens que l’un et l’autre se souciaient de l’ « intercompréhension » entre leur public cévenol et eux-mêmes, Philippe Carcassés m’ayant même demandé avant son concert : « Comment dit-on ici, « canti » ou « cante » ?
Peut-on établir une comparaison entre les deux interprètes ? Tout est question de goût : André Chiron, par sa voix et ses accompagnements, sera jugé plus proche de la production musicale de Brassens, mais Philippe Carcassés, quant à lui, revendique une adaptation des textes plus proche de la lettre. Ce qui est sûr, c’est que les six CD sont d’une très grande qualité, et que les amoureux de Brassens ne seront pas déçus, bien au contraire.
Ceux qui, comme moi, aiment à écouter l’une et l’autre des versions d’un même texte pourront le faire avec une douzaine de chansons, toutes évidemment très connues : j’en fais ici le recensement, en indiquant par L la version « languedocienne » de P. Carcassés et par P la version provençale d’A. Chiron. Les chiffres 1, 2 ou 3 qui suivent le sigle indiquent le numéro du CD : ainsi P2 indique que la version provençale se trouve sur le volume 2 de « André Chiron canto Brassens en prouvençau » :
La fille à cent sous L 1 ; P 2
Pauvre Martin L 1 ; P 1
Le temps ne fait rien à l’affaire L 1 ; P 2
Saturne L 1 ; P 1
Putain de toi L 1 ; P 2
La mauvaise réputation L 2 ; P 1
Les sabots d’Hélène L 2 ; P 1
L’orage L 2 ; P 1
Supplique… L 2 ; L 1
Chanson pour l’Auvergnat L 3 ; P 1
Marinette L 3 ; P 2
Les amours d’antan L 3 ; P 3
Si on veut maintenant comparer les traductions/adaptations, il suffira de prendre les textes en provençal et en occitan… avec, pour cette dernière version, le problème qui est celui, bien connu, de la graphie occitane : les particularités du parler sétois ont été systématiquement effacées !
Je vous propose ici, pour la version provençale, la graphie du chanteur qui reproduit assez fidèlement la langue ; mais pour la version sétoise, j’ai préféré, plutôt que de redonner le texte occitan que vous pourrez lire dans le CD, une version en graphie classique mistralienne, évidemment adaptée aux particularités de la langue de Sète telles qu’on peut les entendre en écoutant le CD.
Petite remarque de phonétique : en provençal rhodanien comme en sétois, la lettre U tend à se prononcer comme le EU français, et nos deux chanteurs ne se privent pas pour nous en donner la preuve, marque d’authenticité chez l’un comme chez l’autre.
Commençons par la version provençale :
LOU TÈMS FAI PAS RÈN DINS L’AFAIRE
Quouro soun tout nòu
Qu’an just creba l’iòu,
Lou coucoun,
Tóuti li jouvènt
Traton li parènt
De couioun.
Mai quouro an vieii,
Que soun achancri
E bletoun,
Tóuti lis ancian
Dison dis enfant :
Que couioun !
Iéu que baleje entre dous age,
En tóuti baie aquéu message :
Lou tèms fai pas rèn dins l’afaire :
Quand sias couioun, sias couioun !
Que sigués felen, grand o paire,
Quand sias couioun, sias couioun !
Pèr vautre ges de contro-verso,
Couiounas, couiounet d’óugan,
Couioun de la darriero averso,
Couioun di raisso d’antan.
Vàutri, couiounet,
Vous li mai jouinet
Di couioun,
Digués pas de noun,
Tenès li barboun
Pèr couioun.
Vàutri, couiounas,
Li mai grandaras
Di couioun,
Counfessarias lèu :
Tóuti li barbèu
Soun couioun.
Mai pensas à-n-aquéu message
D’un que balejo entre dous age…
( traduction provençale de Pèire Paul)
Et maintenant la version sétoise de Philippe Carcassés : quand une lettre n’est pas prononcée mais qu’elle apparaît dans la tradition graphique mistralienne, je l’ai mise entre parenthèse. Rappelons qu’en sétois comme en montpelliérain ou en cévenol méridional, c’est bien un –A final qu’on articule, plutôt qu’un –O : du coup on écrit « canta » pour le cévenol/provençal « canto », mais on est obligé d’écrire « cantà » pour le cévenol/provençal « canta »
LOU TEM(S) COUMTA PER UNA PETA
Quand es couma nòu,
Que sourtis de l’iòu,
Dau coucoun,
Cada jouve gal
Pren soun majoural
Per un coun.
Mas quand es vengu
Un vièl caparu(t),
Un grisoun,
Cada repapio(t)
Pren cada picho(t)
Per un coun.
Ieu que trasteje entre dous ages
Lour dise aquel clar message :
Lou tem(s) coumta per una peta :
Quan(d) siès un coun, siès un coun !
Counten(t), tristas, nòvi, papeta,
Quand siès un coun, siès un coun !
Vostra councordia es legitima,
Coun fini ou encara bressà,
Coun que vi(r)a dempioi la prima,
Counas dau sègle passà.
Vautres, couns naissen(t)s,
Lous couns inoucen(t)s,
Jouines couns
Que, hou negués pas,
Prenès lous papas
Per de couns.
Vautres, couns usa(t)s,
Lous couns petassa(t)s,
Lous vièls couns
Que, ases saben(t)s,
Prenès lous jouven(t)s
Per de couns,
Meditas l’imparciau message
D’un que trasteja entre dous ages …
Vous voulez apprendre une langue d’oc véritable ? Plutôt que de gaspiller votre argent dans l’achat d’une « méthode d’occitan », achetez et écoutez les CD de Philippe Carcassés, imprégnez-vous de sa prononciation et vous deviendrez maître d’une langue dont l’articulation, très mélodique, se trouve proche du cévenol et du provençal, ce qui vous permettra ensuite d’écouter avec facilité du Brassens en provençal avec André Chiron. Je vous garantis des heures et des heures de plaisir avec la « méthode Carcassés » !
Yves Gourgaud, mai 2014
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