La Déesse sur l’Alto Nuvolao
Traduction française François Simon
Ceci est l’histoire d’une chute, la chute d’un royaume. Des choses qui arrivent quand les destins changent et que le temps accélère sa course circulaire. C’est un moment confus, où le chevauchement de lumières et d’ombres agite le fond du miroir. La lutte qui se déclenche, inévitable et terrible, alimente l’espérance, génère des aventures, mais elle est sans remède, parce qu’avec elle se referme le cycle.
Ici s’épuise toute l’énergie accumulée, la foi, l’avidité, l’honneur, l’astuce, la pureté, et surtout, la connaissance des choses sacrées.
Il manque la possibilité d’aller ailleurs. Le héros ne s’embarque pas, il reste au bord de la rive, limite toujours disputée, et il accepte la fin. La scène initiale avec le ciel qui s’assombrit à cause de du vol de la Déesse, qui a pris son apparence de «variul», le vautour royal aux serres d’or, correspondra à la scène finale où la reine, privée de son royaume, sort du flanc de la montagne et fait le tour du lac sur une barque. Elle attend et peut-être que cette attente est la seule attitude qui puisse donner un sens à la circularité de la vie.
D’un côté il y a le regard, décoché d’en haut, et de l’autre, comme conséquence inéluctable, la fixité du lac, un œil terrestre qui ne capture que des images réfléchies.
Toutefois, pour tracés qu’ils soient, les destins ne sont pas égaux entre eux: celui qui savait et ne dit mot ou celui qui ne veut pas savoir est perdu deux fois, et la Déesse le transforme en instrument de la fin, en serre.
Peut-être est-ce aussi un récit de nuages, où un voile cache à la vue les signes célestes, annonçant ainsi la rupture du pacte.
Rien ne pourra s’y opposer, car tout est écrit, mais le mal qui en découle est directement proportionnel à la somme des erreurs.
Reste à savoir si la première erreur de la Reine, son aveuglement, est un effet direct de la lumière qui émane de la Déesse, et si par conséquent elle est due à un dessein ab aeterno?
La réponse la plus cohérente est qu’entre Destin et destinées il existe de toute façon un espace infime, de l’épaisseur d’un cheveu, où se joue la bataille de la vie.
Son offre mystérieuse permet au moins de choisir au nom de qui elle doit être livrée.
L’alternance de victoires et de défaites entame à peine la synchronie des cycles.
Ce qui compte, ce sont les césures où, comme dans le rythme des marées, croît et décroît la sagesse des hommes, de sorte que pour finir, c’est la connaissance qui constitue le véritable enjeu.
Depuis toujours une alliance secrète, connue seulement des rois et de leur famille, liait le sort du royaume des Fanes aux marmottes. C’étaient elles, racines vivantes, qui tenaient l’une des deux extrémités de l’existence, jetée comme une corde entre passé et présent. Si elles n’avaient plus rempli ce rôle, le temps aurait fait des remous, compromettant la succession des évènements, laissant en suspens dans un gouffre tout le peuple, à commencer par ses guides.
La Déesse intervint quand la Reine, qui avait pris pour mari un prince étranger, ne lui révéla pas le pacte avec les marmottes, ancêtres qui lui semblèrent trop humbles pour pouvoir subjuguer l’esprit de son époux. C’est pourquoi, au lieu de l’en informer, elle préféra se taire. Bien qu’un tel silence soit grave, les noces furent célébrées, et par sa volonté l’étranger devint roi des Fanes. Cédant à un faux orgueil, la Reine privait son mari de la vraie consécration, elle lui ôtait le droit à la couronne, plaçant toute action future en conflit ouvert avec l’ancien équilibre. En un certain sens, elle le condamnait à rester ce qu’il était : un étranger, le poussant ainsi à se comporter d’abord en usurpateur, puis à trahir.
Un jour que le roi suivait une harde de chamois sur le Alto Nuvolao, il trouva un petit vautour au milieu d’un pierrier. Cela ne lui était jamais arrivé, et il décida de s’emparer. Il l’avait mis dans sa besace quand il se sentit enveloppé dans un courant d’air. Tournant les yeux, il eut à peine le temps de protéger son visage du bec de la Déesse qui lui arracha un pan de son manteau. Il avait laissé son cheval plus bas et dut se mettre à courir, en levant son bouclier. De temps en temps, quand les attaques se faisaient plus menaçantes, il s’arrêtait et essayait de frapper l’oiseau avec sa lance. Le vautour, en plongeant, crachait des flammes, et ses serres d’or brillaient. Puis brusquement il s’envola plus avant et atteignit un rocher, juste au début du sentier qui descendait vers la vallée. Ayant replié ses grandes ailes, il commença à parler : « Je viens de l’île des Hommes-qui-n’ont-qu’un-bras; c’est là que je règne. Libère mon fils et tu seras puissant ». Le roi se contenta de faire un signe sans répondre. Le vautour n’était pas pressé, et il renouvela sa demande. Cette fois, le oui se fit clairement entendre. «Alors, répondit le vautour, nous scellerons notre pacte par un échange». «Quel échange» ?
«Chez les Fanes, il est d’usage que celui qui conclut une alliance offre à l’autre l’un des jumeaux à naître». «Le pacte, ajouta-t-il, ne doit être révélé à personne ». «D’accord, personne n’en saura rien - dit le roi - pas même la reine. Eh bien, reprends ton fils et si j’ai des jumeaux, l’un d’eux sera à toi».
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