mardi 10 décembre 2013

Ive Gourgaud - ELOGE D’UN OCCITANISTE : Jean-Yves Rideau

 
 
 
 
 
ELOGE D’UN OCCITANISTE
Jean-Yves Rideau
    
 
 
Que penser d’un occitaniste (c'est-à-dire : personne employant une graphie dite occitane) qui, republiant les œuvres d’un curé de chez lui, ose donner à son travail le titre de Poésies patoises ? Et qui, pour aggraver son cas, ne fait nulle part apparaître la croix occitane, symbole qui permet de reconnaître la secte ? C’était en 2007, et Jean-Yves Rideau faisait donc paraître, aux éditions du Roure, en Haute-Loire, une belle édition bilingue des Poésies patoises de l’abbé Jean-François Meiller.
   
 Que penser d’un occitaniste qui, dans son avant-propos, écrit à propos de son auteur :
    « Cet homme /…/ a un don certain pour l’anonymat. Mais après tout, les paysans ne sont-ils pas, dans l’Histoire, les sans-noms ? Aux siens, Meiller a rendu leur humble dignité ; des obscurs, il a fait sujet littéraire ; de leur langue même, il a fait œuvre. Il en paye le prix. La Nouvelle histoire de la littérature occitane, de Robert Lafont et Christian Anatole, l’ignore » (page 7, souligné par nous)

    On en déduira que l’occitanisme politico-universitaire n’est pas précisément la tasse de thé de ce chercheur. Et on en aura confirmation avec la publication, en 2012, d’un ouvrage de 231 pages au grand format et richement illustré : Albert Boissier, Herboriste de Langue (Collecte et écrits en langue d’oc de Firminy et de sa région. textes établis par Jean-Yves Rideau), ouvrage dans lequel il sera à nouveau inutile de chercher trace de la moindre croix occitane.

    « Langue d’oc » après « patois » : notre homme aurait-il quelque scrupule à employer le mot « occitan » comme argument de vente ? On peut au moins se poser la question ; non qu’il évite absolument le terme, mais sous la plume de Jean-Yves Rideau, on voit « occitan » coexister avec « langue d’oc » (voyez le titre) et, à nouveau, avec un terme que l’occitaniste moyen exècre : le mot « patois » (par exemple pages 8 ou 15)
    Mais au moins notre occitaniste professe-t-il un mépris pour Mistral et sa graphie ? Pas du tout, puisqu’il écrit, page 18 :
   
 « Pour rendre compte de son parler, Boissier utilise l’alphabet français, corrigé par l’oreille et l’écriture félibréenne, c’est-à-dire celle conçue par les provençaux, dont Mistral est le porteur incontournable. C’est qu’il a pour dessein d’avoir la représentation la plus exacte possible d’une langue qu’il ne conçoit pas autrement qu’orale »
    
Quel mistralien aurait pu faire plus bel éloge de notre graphie ? Et cet éloge n’est pas feint, puisque Jean-Yves Rideau va nous donner à lire DANS SA GRAPHIE MISTRALIENNE D’ORIGINE, le texte le plus ambitieux et le plus abouti de Boissier, une longue prose de 1923, La Plainto do vieu clouchèï, qui occupe dans l’ouvrage les pages 107 à 154. Ce texte original est accompagné de sa traduction française et de la transcription en graphie occitane.
    
On retrouve ici ce qui justifie largement mon Eloge, et qui fait suite à ce que je disais dans MARSYAS2 à propos de l’édition du poète-vigneron de Vendargues, Paul-Luc Sabatier : tant que les occitanistes éditeront les auteurs DANS LEUR GRAPHIE D’ORIGINE, s’agissant d’auteurs mistraliens, nous leur dirons : Bravo ! Et s’ils doublent cette graphie de leur adaptation occitane, un autre bravo : ils nous donnent tous les éléments pour pouvoir comparer les deux graphies, et donc juger sur pièces les prétentions de la graphie occitane à être « meilleure » ou « plus lisible» que la nôtre.

    S’agissant du poète de Vendargues, j’ai pris la peine de démontrer ici-même que la graphie occitane, en bien des points, trahissait la langue réelle. On pourrait (et peut-être : on devrait) opérer la même critique ici, mais je voudrais attirer l’attention sur un fait que seuls les « gens du coin » (comme JY Rideau ou moi-même, puisqu’il s’agit de parlers qui me sont familiers par ma naissance à quelques kilomètres de Firminy) ont des chances de connaître : les parlers de cette région, limitrophe avec les parlers francoprovençaux, ont une phonétique très particulière, et toute écriture (patoise, mistralienne ou occitane) se heurte à de multiples difficultés. Avant donc de déclarer que la version occitane est imbuvable, il conviendrait de bien mesurer ces difficultés dans le texte mistralien de Boissier. Je vous livre la première phrase du texte de Boissier en version originale (page 109) :

    « Dian la neu tranthilo, soute lè-z-étiale do ciel apelou, m’erou essublo, iün d’équellou darè devè sè, amounau vè lou vieu cloucheï »

    Y-a-t-il beaucoup de lecteurs de Marsyas2 qui sauraient justifier toutes les graphies de cette phrase, sans parler de la compréhension des mots qui peut réserver des surprises ? La suite « darè devè sè », par exemple, est-elle bien claire pour tous ?
    Pour nous aider à lire les textes de Boissier, Jean-Yves Rideau a établi un lexique occitan-français (pages 165-172) des termes employés par l’auteur. Et il double ce lexique de celui, établi par Boissier lui-même, du « patois appelou » (pages 183 à 200), ce lexique étant précédé d’une page de notes, de la main de Boissier, sur les Conventions pour la lecture du patois. On le voit une fois de plus, la graphie occitane, quant elle est employée, reste à côté de celle de l’auteur : attitude scientifique, rigoureuse et honnête, qui justifie pleinement l’éloge que j’adresse ici à Jean-Yves Rideau.

    On aura compris que ce qualificatif attribué à Boissier : « Herboriste de Langue », s’applique parfaitement à Jean-Yves Rideau, chercheur au parcours atypique : l’édition du Roure nous apprend qu’il fut « professeur, bibliothécaire, animateur, critique (théâtre, cinéma, littérature) mais aussi moutonnier à Montregard » (Montregard est précisément le village de l’abbé Meiller).

    Et notre herboriste est en train de mettre la dernière main à un ouvrage qui sera appelé, lui aussi, à éveiller notre intérêt : une  Géographie paysanne (Gens et lieux d'Yssingelais et sud-Forez, d'après leur langue) qui, une fois encore, liera intimement la langue aux réalités concrètes du pays et à sa culture. C’est très précisément la démarche, en Cévennes, d’un Daniel Travier, ethnologue de grande valeur et fondateur du Musée des Vallées Cévenoles à Saint-Jean-du-Gard : son beau-père, Aimé Vignon, avait enregistré sur un DVD une visite « en patois » du Musée, et c’est ce texte que nous venons de retranscrire et de publier dans notre ACANCE (Anthologie des Cantons Cévenols), en novembre 2013.

    Bref, Jean-Yves Rideau est des nôtres, de ceux qui ne conçoivent pas qu’on puisse aimer et défendre sa langue, son patois, sans aimer et défendre la civilisation qui l’a engendrée et qu’à son tour elle porte à bout de bras. Nous souhaitons vivement que les Editions du Roure, qui avaient déjà publié les Poésies patoises de Meiller, nous donnent vite à lire cette Géographie paysanne qui pourra servir de modèle à bien d’autres modalités d’oc.

Yves Gourgaud, décembre 2013





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