A LIRE DANS L’ARMAGNA CEVENÒU 2015
Pour la cinquième année, les éditions populaires cévenoles Aigo Vivo vont bientôt éditer leur Armagna Cevenòu qui, fidèle à son idéal de décentralisation, publie des textes venus de tous les coins de la terre des Cévennes : Ardèche, Gard, Hérault et Lozère sont ainsi largement représentés, le nom de chaque auteur étant suivi du nom de son canton de rattachement (par rapport à la langue utilisée). En fin d’ouvrage, on trouvera d’ailleurs la liste complète de tous les armagnacaires publiés depuis 2011, regroupés par origine géographique (départements et cantons).
Ceci pour les textes en langue cévenole. On y trouvera aussi quelques études en français, comme le texte suivant qui sert d’éditorial et qui est donné en exclusivité aux lecteurs de Marsyas2 :
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Cévenols ou Languedociens ?
Le Journal de Languedoc, 1787
Tout au long des siècles, l’identité cévenole ne s’est jamais laissée absorber par une autre identité, soit plus étroite comme le Gévaudan (ce que reconnaît la revue félibréenne Lou Païs qui se présente, en sous-titre, comme « Revue Régionaliste de la Lozère et des Cévennes »), soit plus large comme ce Languedoc qui jusqu’à la Révolution nous a englobés sans nous inciter le moins du monde à nous sentir « languedociens ». A ce sujet, le Journal de Languedoc, court ouvrage d’une quarantaine de pages, daté de 1787 et qu’on peut consulter sur le site Gallica de la BNF, nous offre de sérieux éléments d’explication.
D’abord, le Journal nous rappelle, page 2, que
…le Languedoc, Occitania, a Toulouse, Tolosa, pour capitale.
Qu’on ne s’y trompe pas : les mots Occitania et Tolosa donnés ici à la suite de leur équivalent français, ne sont pas des mots écrits en occitan mais en latin, langue officielle de la Généralité de Languedoc dont ce Journal est un organe officiel. Et notons pour commencer que si le Languedoc est bien assimilé à cette Occitanie que certains occitanistes nous présentent, en impérialistes conscients, comme « l’ensemble des pays d’oc » et que si Toulouse en est la capitale déclarée, ces données bureaucratico-idéologiques n’ont jamais incité les Cévenols à s’assimiler à des « languedociens/occitans », Toulouse n’ayant jamais eu avec les Cévennes de rapports étroits dans les domaines de l’économie, du commerce ou de la culture.
Page 24, le Journal nous rappelle aussi que l’identité cévenole avait été prise en compte par l’Ancien Régime puisque la Généralité de Languedoc était divisée en trois « lieutenances générales », celles du Haut-Languedoc, du Bas-Languedoc et des « Cevènes » /sic/. La page suivante précise que notre « lieutenance générale » comprenait les diocèses de Nîmes, Alès et Uzès ainsi que les Pays du Vivarais, du Gévaudan et du Velay, autrement dit les diocèses de Viviers, de Mende et du Puy. Cette reconnaissance formelle de l’identité cévenole supposait-elle un respect de notre personnalité ? Les remarques qui suivent vont nous en dissuader : page 36, il est rappelé que l’appel des délégués du Tiers-Etat aux assemblées se faisait selon un ordre strict, qui est donné intégralement : « Pour les villes, on commence par Toulouse, ensuite Montpellier… » On comprend aisément que les premiers appelés sont les plus importants. Quel est alors le rang réservé à Alès parmi les 21 villes présentées ? Tout simplement le dernier ! C’est dire le peu de cas que l’on faisait des Cévennes du côté de Toulouse ou de Montpellier…
Page 39 est présentée la langue des « Languedociens » : si on y admet que « dans le Bas-Languedoc mais surtout à Nismes et Montpellier, elle a une douceur » qui l’assimile à de l’italien pour sa sonorité, on affirme dans la même phrase : « au contraire, dans les Cevènes, elle a beaucoup de rudesse »
Habituel racisme de l’habitant des plaines vis-à-vis des montagnards, pourrait-on croire, et en effet le Journal établit une très nette distinction entre les habitants du « Haut Languedoc » et ceux du « Bas Languedoc », page 40 : alors que ceux-ci « sont communément pleins d’esprit, d’activité et d’industrie, très-propres au commerce, aux arts et aux manufactures », ceux des hautes terres sont ainsi présentés : « Les habitans du Haut Languedoc sont grossiers, peu laborieux et peu industrieux ». Dans ces conditions, peut-on encore s’étonner que les Cévenols n’aient jamais voulu s’assimiler à un Languedoc qui les rabaissait aussi violemment, ni se placer sous la « croix de Toulouse » qui orne le frontispice du Journal de Languedoc et qui est le symbole officiel de cette « Province de Languedoc », comme c’est rappelé page 48 ?
Le jeton de 1705 des Etats de Languedoc
Cette « croix de Toulouse » que les occitanistes d’ici comme d’ailleurs ont rebaptisée « croix occitane » (avec les meilleurs raisons historiques, puisque l’Occitanie n’est que le nom officiel du Languedoc sous l’Ancien Régime, voir plus haut), nous allons maintenant la voir apparaître dans un autre témoin de notre histoire : il s’agit d’un jeton des Etats du Languedoc, daté de 1705. Chaque année, la province de Languedoc frappait des jetons ayant le même aspect qu’une monnaie mais sans valeur faciale : de manière générale, ces jetons avaient sur une face le profil du roi (ici, Louis XIV) et sur l’autre un symbole de la province, le plus souvent la fameuse « croix de Toulouse » accompagnée du nom officiel de la province, à savoir OCCITANIA. C’est dire à quel point, jusqu’à la Révolution, l’histoire a mêlé le mot « Occitania » et son emblème (la croix de Toulouse) avec le pouvoir central, celui de la monarchie absolue.
Mais le jeton de 1705 nous offre un élément historique supplémentaire : souvent le revers du jeton servait à rappeler un fait d’armes du royaume, et en 1705 il s’agit tout simplement de glorifier un fait douloureux entre tous de l’histoire des Cévennes. Laissons la parole à un site de numismatique (cgb.fr) qui se contente de présenter ce jeton : « Le revers rappelle la révolte et la défaite des camisards. En 1703, Montrevel n’avait pu soumettre les camisards. En 1704, le maréchal de Villars obtient la soumission de Jean Cavalier (mai 1704). La Province est enfin pacifiée en 1705 et au revers, l’Occitanie tient un rameau d’olivier. »
Vous avez bien lu : la croix dite « occitane », le mot « Occitania » et le portrait de Louis XIV sont ici réunis pour glorifier la « pacification des Cévennes » (PACATA PROVINCIA), autrement dit les massacres, déportations, tortures, exécutions et autres « brûlements » qui apportèrent aux Cévennes la paix… des cimetières.
Et les occitanistes voudraient que nous aimions cette croix du Languedoc, qu’ils ont faite leur ? que nous admirions leur « Occitanie » qui a fourni la soldatesque et les abominables décrets anti-protestants et anti-cévenols ? C’est comme si on nous demandait d’aimer la croix gammée comme symbole indo-européen, en « oubliant » qu’elle fut celle des nazis…
Les occitanistes ont pris une très lourde responsabilité en choisissant un tel symbole : qu’on ne compte pas sur les vrais Cévenols pour se placer sous leur croix occitane en trahissant notre Histoire et toutes nos valeurs.
Yves Gourgaud, décembre 2014.
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